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Investisseurs et acteurs du private equity misent sur la relance du « cercle vertueux »

Un vent d’optimisme soufflait sur le Forum des investisseurs 2025 de France Invest aux vues des tendances positives enregistrées l’an passé. « Notre industrie a, en effet, vu ses principaux indicateurs d’activité augmenter en valeur », a indiqué Bertrand Rambaud, Président de l’association, en amont de la publication des statistiques définitives à venir le 26 mars. Les investissements en private equity et en infrastructures auraient ainsi progressé en volume et en valeur à plus de 35 milliards d’euros tandis que les levées de fonds, en hausse également, atteindraient plus de 36 milliards d’euros. « Quant aux cessions, elles ont cru de 30 % pour s’établir à 12 milliards d’euros, laissant entrevoir une accélération des distributions. Mais en volume, il nous faudrait augmenter significativement le nombre de sorties – qui se sont chiffrées à 1 300 l’an dernier - pour assurer une vraie relance du marché et garantir à nos souscripteurs une liquidité optimale de leurs capitaux investis », a-t-il poursuivi. De fait, l’amélioration des retours « cash » constitue l’un des enjeux majeurs que doit aujourd’hui relever l’industrie du non-coté. C’est la raison pour laquelle Bertrand Rambaud a appelé de ses vœux un large recours aux instruments du marché secondaire, mais aussi une meilleure organisation de fenêtres de liquidité pour les investisseurs particuliers. « Nombreuses sont les interrogations qui entourent le contexte dans lequel investisseurs, gérants, entreprises évoluent, a-t-il poursuivi. Quels arbitrages les acteurs de notre écosystème sont-ils prêts à faire entre retour de cash rapide et conservation des actifs pour maximiser la création de valeur ? Comment s’assurer que la consolidation du secteur s’accompagne du fameux alignement d’intérêts et de l’indépendance des sociétés de gestion qui guident les décisions d’investissement des LPs ? ». Autant de sujets qui ont donné lieu à des échanges structurants lors des tables rondes qui ont suivi.

La reprise des distributions nécessaire aux réinvestissements
On dénombre ainsi une trentaine d’opérations de rapprochement dans l’univers des fonds, chaque année dans le monde. Si Roger Caniard, Directeur financier du Groupe MACSF, a souligné l’incertitude engendrée par ces transactions et a indiqué sa préférence pour « des acteurs indépendants avec lesquels entretenir une relation de long terme », Gilles Dusaintpère, Head of AXA IM Prime GP Stake Investments, a insisté sur « l’intérêt significatif » des prises de participations minoritaires (« GP stakes »), du fait d’enjeux de taille, de marque, d’apport de compétences, mais aussi de préservation de l’indépendance des équipes. Surtout, revenant sur le manque de liquidité constaté encore en 2024, Roger Caniard a exprimé son souhait de voir à nouveau s’installer un « cercle vertueux », une reprise significative des distributions, nécessaire aux réinvestissements des investisseurs institutionnels dans la classe d’actifs : « nous avons dû lever le pied bien que nous soyons convaincus qu’investir régulièrement crée de la valeur et qu’il faut éviter de subir des creux dans les millésimes », a-t-il témoigné. Si les réinvestissements (les « re-up ») sont moins systématiques du fait du recul des « retours de liquidités », « cette tendance est liée aussi à des exigences plus fortes des investisseurs concernant les performances, la gouvernance des fonds et de plus en plus souvent les critères ESG, ces derniers pouvant être à l’origine d’un refus de re-up », a constaté Viviane Ting, Managing director chez Amundi Private Equity Funds. Le contexte a aussi une forte influence sur les stratégies désormais privilégiées. La dette privée et le secondaire ont plus particulièrement les faveurs des investisseurs. « Le rapport de force semble basculer en faveur du secondaire qui est actuellement plus à même de saisir des opportunités », a analysé Roger Caniard, qui veille cependant à assurer une bonne diversification entre les stratégies dans ses portefeuilles. Gilles Dusaintpère a, pour sa part, observé que le mid-cap présente l’avantage d’être « plus propice à l’amélioration opérationnelle des participations ».
Le modèle de la « plateformisation » s’affirme
Le Forum des investisseurs de France Invest a aussi été l’occasion d’un tête-à-tête entre deux figures du métier, Christophe Bavière, co-CEO d’Eurazeo, et Alain Rauscher, Président d’Antin Infrastructure Partners, pour plancher sur le phénomène de la « plateformisation ». « A l’origine, deux modèles cohabitaient : celui de la captive, filiale d’une banque ou d’un assureur, et celui de l’indépendant, qui levait tous les trois-quatre ans. L’émergence des plateformes répond donc d’abord à un enjeu de fundraising, avec, par exemple, la capacité d’ouvrir des bureaux à l’international, a rappelé Christophe Bavière. Ce modèle permet aussi une mutualisation des ressources et c’est ainsi que chez Eurazeo, notre équipe ESG couvre l’ensemble de nos 600 participations ». La prise d’indépendance des captives est aussi une tendance de fond : « Aux yeux des investisseurs, l’alignement d’intérêt, donc la question de l’actionnariat sont primordiaux. Ils ne souhaitent pas, en effet, verser des fees à des personnes qui ne contribuent pas », a relevé Alain Rauscher. Une société de gestion cotée dispose-t-elle d’avantages compétitifs face aux grandes mutations de la classe d’actifs ? La bourse valorise la croissance, « elle donne même une injonction de croissance, aussi le développement d’une large palette de stratégies devient un prérequis », a observé Alain Rauscher. Cependant, les sociétés de gestion cotées peinent objectivement à obtenir des valorisations satisfaisantes. « Les investisseurs en bourse ne comprennent pas bien notre métier », a avancé Christophe Bavière. « Peu d’analystes parviennent à bien appréhender notre business model », a renchéri Alain Rauscher. La cotation offre néanmoins l’avantage de donner une bonne visibilité et, dans le contexte actuel de consolidation, de disposer d’une « monnaie d’échange » pour des opérations de croissance externe.
La « prudence » sur les valorisations en question
La bonne valorisation de leurs participations par les fonds suscite aussi d’intenses débats. Qualifiées de « prudentes », voire de « conservatrices », ces valorisations font l’objet de « processus d’audit très encadrés, fondés en particulier sur les transactions comparables et celles observées sur les marchés cotés, avec toujours un prisme de prudence », a analysé Gilles de Soto, Head of valuation department & Managing Director d’Ardian. En pratique effectivement, l’observation des transactions réalisées dans l’univers du private equity fait apparaître une différence entre les valeurs de cession et les valeurs théoriques (issues du calcul des NAV) de plus de 25 % il y a quelques années et désormais plutôt de 10 %, voire moins, a rapporté Jasmine Hunet, Senior managing director chez Evercore. La « prudence » serait donc désormais moindre, ce qui répond aux souhaits d’investisseurs institutionnels désireux d’obtenir « une « fair market value », d’autant plus qu’une valorisation inférieure au prix d’acquisition nécessite de passer une provision », a rappelé Martine Legendre, Head of Alternative Investments d’Allianz.
Enfin, les professionnels s’accordent à constater que les fonds de continuation ont véritablement acquis leur place parmi les « voies de sortie », représentant aujourd’hui environ 10 % des transactions nouées entre fonds (y compris donc LBO secondaires). « La démarche doit être particulièrement encadrée, à travers de strictes règles de gouvernance, car se vendre à soi-même peut légitimement susciter des interrogations », a admis Enguerran de Crémiers, Managing Director chez Kroll Advisory, en prônant « un processus ouvert afin de pouvoir inclure un prix de marché ».

Le besoin d’un marché financier unique fait consensus
Invité à conclure ce Forum des investisseurs 2025 de France Invest, Enrico Letta, ancien Président du Conseil des ministres italien, actuel Président de l’Institut Jacques Delors et auteur d’un rapport sur l’avenir du marché unique européen est revenu sur le nécessaire renforcement du marché intérieur. Un renforcement d’autant plus crucial à l’heure où l’Europe doit plus que jamais prendre en main son destin. Il identifie plus particulièrement trois secteurs pour lesquels 27 marchés supervisés par des autorités nationales cohabitent : ceux des marchés financiers, de l’énergie et des télécoms. « Cette situation empêche l’émergence d’acteurs compétitifs, de champions européens, au niveau mondial, les systèmes nationaux ne permettant qu’à des champions nationaux de prospérer », a-t-il regretté. C’est ainsi par exemple que l’absence d’une carte de crédit européenne a laissé la place à des acteurs américains qui se sont accaparés le marché des paiements électroniques. De même, la coexistence de 27 droits des affaires empêche les PME de se développer hors de leur pays d’origine. « Aux Etats-Unis, afin de pallier cette difficulté, les Américains ont imaginé le régime de l’Etat du Delaware. Nous pourrions, sur le même modèle, créer un 28e Etat, virtuel », imagine Enrico Letta.
Surtout, concernant l’émergence d’un marché financier unique, l’ancien Président du Conseil italien s’est dit convaincu que « ce projet, dont la France devrait être le leader et qui vise à faciliter le financement du développement économique en Europe, fait consensus. Il est même dans une phase d’avancement unique, car il n’a jamais bénéficié d’une telle disponibilité d’écoute de la part des décideurs politiques, face aux besoins de financement de la transition énergétique et de la défense en particulier ». Il encourage ainsi toutes les parties prenantes à prendre la mesure de l’importance de la relance de l’Union des marchés de capitaux, désormais « Union de l’épargne et des investissements ».