Salim Ramji : «Mon objectif est qu’iShares compte 100 millions de clients d’ici à la fin de la décennie»

Premier fournisseur mondial d’ETF sous sa marque iShares, BlackRock voit en l’Europe un relais de croissance majeur. Dans un entretien exclusif à L’Agefi, le directeur mondial d’iShares et de la gestion indicielle de BlackRock, livre ses perspectives pour le marché, et la manière dont iShares compte en tirer parti.
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Salim Ramji, directeur mondial des ETF iShares et de la gestion indicielle de BlackRock, indique que 23 banques centrales dans le monde utilisent les ETF obligataires de BlackRock.  -  www.arnoldadler.com

L’Agefi : Le marché européen des ETF est presque cinq fois plus petit que le marché américain. Pourquoi attire-t-il malgré tout un acteur comme iShares ?

Salim Ramji : Le marché européen de la gestion d’actifs est d’environ 28.000 milliards de dollars. Avec 1.600 milliards sous gestion, les ETF domiciliés en Europe ne pèsent donc que 5% de ce très vaste marché mais ils progressent rapidement : leurs encours ont doublé ces cinq dernières années et servent un nombre croissant de clients. C’est un marché qui nous paraît très prometteur. iShares est le leader en Europe avec 700 milliards de dollars sous gestion, pour une collecte de 50 milliards de dollars depuis le début d’année. Plus important encore, nous répondons désormais aux besoins de 8 millions d’Européens.

Un segment en fort développement depuis le début d’année est celui des ETF obligataires. Est-ce un succès durable ?

Lancé il y a vingt ans, le marché européen des ETF obligataires représente désormais 400 milliards de dollars d’encours et une collecte de 52 milliards depuis le début d’année. La moitié de ce marché est captée par iShares. On assiste à un vrai changement de paradigme pour les ETF obligataires. Tout d’abord, ils profitent du meilleur environnement de taux, avec des niveaux de rendements réels inédits depuis une quinzaine d’années. Les obligations retrouvent une place importante dans les allocations et les investisseurs utilisent les ETF pour exprimer ce choix. En outre, l’offre d’ETF obligataires s’est beaucoup élargie : nous avons 500 produits différents à travers le monde, ce qui permet à l’investisseur de se focaliser sur certains niveaux de qualité de crédit, certaines zones géographiques ou encore certaines parties de la courbe.
Nous continuons de compléter cette gamme puisque nous venons d’ailleurs de lancer en Europe notre offre d’ETF à échéance fixe, iBonds : en deux mois, nous avons déjà collecté 200 millions de dollars. Mais ce qui me semble le plus marquant, c’est le rôle que les ETF obligataires sont amenés à jouer sur le marché du fixed income, alors même qu’ils ne représentent que 1,6% des encours au niveau mondial. Ils constituent une des forces qui pousse ce marché à se moderniser en passant de l’analogique au digital, c’est-à-dire d’un fonctionnement obsolète, avec une fixation des prix opaque et des négociations de gré à gré très chères, à un système plus efficient. Les ETF obligataires s’échangent en effet en Bourse, ce qui permet d’abaisser les coûts de transaction, et ils offrent de surcroît une source de liquidité supplémentaire dans un marché qui peut parfois en manquer. En cela, les ETF obligataires sont bien différents des ETF actions qui bénéficiaient déjà de l’existence d’un marché efficient. Pour toutes ces raisons, nous sommes très optimistes sur les perspectives de croissance de ce segment au cours des prochaines années.

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Croyez-vous à l’essor des ETF gérés activement, tant aux Etats-Unis qu’en Europe ?

Les ETF actifs fonctionnent aux Etats-Unis et pourraient fonctionner en Europe. Il y a encore dix ans, les ETF étaient synonymes de gestion passive adossée à quelques grands indices pondérés par la capitalisation, et c’est d’ailleurs toujours très vrai. Mais au fil du temps, il est apparu qu’ils pouvaient être un moyen efficace d’accéder à tout type de stratégies d’investissement sur les actifs cotés, qu’elles soient factorielles, thématiques, durables… Ce même principe peut s’appliquer à des stratégies qui recherchent de l’alpha. Aux Etats-Unis, où la loi a simplifié en 2019 le lancement d’ETF actifs, des centaines de produits ont été lancés. C’est désormais un marché de 450 milliards de dollars et il croît très vite. L’ETF est une technologie, une manière de packager des investissements, du plus basique au plus complexe. Et il le fait de façon plus efficace que le fonds commun de placement, qui fêtera ses 100 ans le mois prochain.

Le développement du marché européen des ETF actifs se fera probablement à un horizon de quatre ou cinq ans.

Voyez-vous les ETF actifs dépasser les ETF passifs ?

Les ETF indiciels existent depuis plus de trente ans, alors que les ETF actifs ne se développent que depuis trois ans, donc il est difficile de dire ce qu’il en sera dans plusieurs décennies. En revanche, sur les cinq à dix ans à venir, je suis convaincu qu’il faudra pouvoir offrir ce choix au client. Aux Etats-Unis, de plus en plus d’investisseurs souhaitant combiner dans leur portefeuille de la gestion active et de la gestion passive décident d’utiliser dans les deux cas des ETF, pour des raisons de simplicité opérationnelle, d’efficience et de transparence sur le profil de risque. Nous avons déjà 24 ETF actifs aux Etats-Unis, soit environ 13 milliards de dollars sous gestion, et nous sommes partis pour en lancer environ 20 nouveaux aux Etats-Unis. Nous pourrions envisager de faire de même en Europe à partir de l’an prochain car nous avons des demandes : c’est encore à l’état de réflexion. Le développement du marché européen des ETF actifs se fera probablement à un horizon de quatre ou cinq ans. L’essor des ETF obligataires ou durables est beaucoup plus immédiat.

Justement, les ETF ESG rencontrent beaucoup de succès en Europe, alors que le contexte américain est plus compliqué. Larry Fink, lui-même, ne veut plus utiliser le terme ESG. Comment conciliez-vous ces deux marchés ?

L’important est de laisser le choix à l’investisseur. En Europe, environ 16% des actifs d’iShares en ETF ont une orientation durable ou axée sur la transition. La demande européenne est effectivement forte, avec une collecte de 32 milliards de dollars depuis le début d’année, dont 10 milliards pour iShares. L’un des avantages de l’enveloppe ETF est d’offrir le choix : certains de nos ETF appliquent des filtres, d’autres optimisent un budget carbone, d’autres encore s’intéressent à une thématique durable, etc. Il faut offrir un large choix et répondre à la diversité des besoins : les fonds de pension britanniques tendent à préférer les stratégies de neutralité carbone, quand leurs homologues néerlandais se focalisent davantage sur les Objectifs de développement durable des Nations unies. Même en Europe, il n’y a pas de manière monolithique d’aborder la question de la durabilité. Nous avons, chez iShares, 40 millions de clients dans le monde : ils n’ont pas besoin d’être d’accord sur tout !

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Laisser le choix au client, est-ce aussi ce qui vous motive lorsque vous lancez l’outil «Voting choice» par lequel les investisseurs décident eux-mêmes de quelle manière ils souhaitent voter aux assemblées générales des entreprises en portefeuille ?

Le choix du vote est en effet un autre exemple. Depuis deux ans, nous offrons ce service pour la moitié de nos encours en gestion indicielle actions, essentiellement pour des institutionnels qui ont la capacité d’élaborer leur propre politique d’engagement et leur propre philosophie de vote. On constate une vraie demande puisque 25% des actifs concernés sont couverts par un programme «Voting choice». Nous prévoyons aussi un test aux Etats-Unis à partir de l’an prochain pour voir si ce dispositif peut être étendu aux ETF. L’idée est de voir dans quelle mesure les clients sont demandeurs d’un tel service et comment leur offrir ce choix sans trop compliquer le produit. L’ETF doit rester un produit simple et pratique à utiliser.

A terme, permettre aux détenteurs d’ETF de voter pourrait-il changer les rapports de force aux assemblées générales ?

Il est trop tôt pour le dire, nous verrons. Depuis plus de vingt ans, nous cherchons à démocratiser l’investissement. iShares compte désormais 40 millions de clients dans le monde et mon objectif est qu’ils soient 100 millions d’ici à la fin de la décennie. L’Europe aura un rôle prépondérant dans cette stratégie.

Nous observons en Europe une dynamique importante qui transforme les épargnants en investisseurs, en particulier dans les ETF.

Le marché des particuliers peine pourtant à s’ouvrir en Europe, à l’exception de l’Allemagne. Qu’est-ce qui vous rend optimiste ?

Il s’agit d’un développement excitant en Europe depuis trois ou quatre ans. En Allemagne, nous sommes passés, en l’espace de quatre ans, de 300.000 à 7 millions de particuliers investissant dans des plans d’épargne en ETF. C’est assez extraordinaire pour un pays qui avait jusqu’ici une longue culture de l’épargne mais pas de l’investissement. Dans un avenir proche, ce chiffre devrait s’élever à 20 millions, c’est-à-dire un Allemand sur quatre. Nous observons en Europe une dynamique importante qui transforme les épargnants en investisseurs, en particulier dans les ETF. Que cela soit avec Monzo au Royaume-Uni, Boursorama en France, avec des start-up digitales ou sur d’autres marchés comme les pays nordiques et l’Italie, nous cherchons à rendre l’investissement en ETF plus abordable et facile en nouant des partenariats avec des plateformes digitales reconnues. Nous voulons servir davantage de particuliers qui cherchent à investir pour la première fois de leur vie et qui, en investissant tôt, peuvent avoir un horizon de long terme pour leurs investissements.

Les distributeurs traditionnels peuvent-ils aussi être au cœur de cette tendance ?

Pour un particulier qui investit 100 euros dans un plan d’épargne ETF, les plateformes digitales forment un bon point de départ. Cela étant, les grands gérants de fortune demeurent le segment le plus important pour iShares. Cela restera vrai dans dix ans car une fois que les particuliers atteignent un certain niveau de richesse, ils ont besoin d’un conseiller et d’une aide personnalisée humaine. iShares a pour objectif d’être présent sur l’ensemble du spectre des investisseurs et tout au long de leur parcours d’investissement, qu’ils aient 100 euros ou plusieurs centaines de milliers d’euros gérés par des banques privées.

Les fournisseurs d’ETF se font la guerre sur les frais. Où cela peut-il mener ?

Nous sommes fiers de la valeur qu’offrent nos ETF. Nous avons réduit les frais de 50 ETF différents à plusieurs reprises l’an dernier malgré la hausse de l’inflation. Grâce à notre croissance, nous réalisons des économies d’échelle et nous voulons partager ces gains d’efficacité avec nos clients. La valeur mais aussi la qualité de l’exposition de nos ETF demeurent des notions importantes. Nous dépensons beaucoup d’argent et de ressources technologiques et humaines pour suivre les indices de manière précise, afin d’atténuer les coûts de trading et d’obtenir l’exposition la plus fine possible.
Nous voulons d’abord être le premier fournisseur d’ETF de qualité et ensuite proposer les meilleurs prix. Nous avons des ETF dont les frais vont de 2-3 points de base à 20-30 points de base. Si votre ETF est mal construit, vous pouvez avoir des écarts de suivi, ce qui fera baisser sa performance de plusieurs points de base. La liquidité a tout autant son importance. Aux Etats-Unis, 9 des 10 ETF obligataires les plus liquides sont des ETF iShares et en Europe, c’est 10 sur 10. C’est un exemple de la qualité de nos ETF.

Quelque 23 banques centrales dans le monde utilisent nos ETF obligataires.

Les ETF ne peuvent-ils pas être une source de risque systémique, notamment en période de stress ?

C’est même le contraire, en particulier pour les ETF obligataires qui sont une force modernisatrice et stabilisatrice pour les marchés. Quand on regarde les périodes de stress de marché depuis 2008, les ETF obligataires ont permis la découverte de prix : ce sont vers eux que les institutionnels se sont tournés pour déterminer les prix des obligations. Ils ont apporté une liquidité supplémentaire dans le marché obligataire. Quelque 23 banques centrales dans le monde utilisent nos ETF obligataires tout comme 8 des 10 plus grands assureurs et 9 des 10 plus gros gérants actifs au monde. Les ETF obligataires ont dépassé les 2.000 milliards de dollars d’encours globaux en juillet. Nous pensons qu’ils vont tripler à 6.000 milliards de dollars d’ici la fin de la décennie.

Qu’attendez-vous de l’arrivée des crypto-actifs dans l’univers des ETF ?

Nous envisageons le bitcoin un peu comme l’or. Il y a vingt ans, nous lancions un ETF sur l’or car nous pensions qu’il était plus simple pour les clients d’avoir un ETF que de détenir de l’or physiquement chez eux. Nous avons appliqué cette même approche pour explorer la possibilité d’un ETF bitcoin. Plusieurs millions de personnes ont des bitcoins mais leur détention est lourde et coûteuse. Il leur serait plus simple de détenir un ETF bitcoin. C’est une extension de ce que nous faisons sur d’autres matières premières depuis des dizaines d’années.

La technologie blockchain peut-elle aider au développement du marché ETF ?

La blockchain a le potentiel d’améliorer l’efficience, la transparence et de réduire les frictions sur les marchés financiers. Il y a des opportunités et nous sommes intéressés par l’expérimentation et le pilotage d’initiatives. Mais ce ne sont que les prémices et cela peut prendre du temps. Il a fallu vingt ans pour développer des ETF obligataires et pourtant nous n’en sommes toujours qu’au début de ce marché.

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