L’industrie européenne des ETF se prépare à la réforme du post-marché américain

Le 28 mai , les Etats-Unis, mais aussi le Canada et le Mexique, vont passer leurs délais de règlement-livraison des titres à J+1. Avec des effets de bord significatifs sur les fonds européens, et notamment les ETF.
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L’heure de vérité est sur le point de sonner. Depuis près d’un an, l’industrie européenne des fonds, et singulièrement celle des ETF, planche sur les conséquences d’une décision prise outre-Atlantique de raccourcir d’un jour les délais de règlement-livraison des titres cotés (actions, obligations…). A partir du lundi 27 mai pour le Canada et le Mexique, et du mardi 28 mai aux Etats-Unis – jour férié oblige –, ce délai passera à une journée après le passage de l’ordre d’achat ou de vente, c’est-à-dire en « J+1 » (T+1 en anglais). Cette refonte du post-marché est problématique pour les fonds européens investis, pour tout ou partie, en titres américains. En effet, elle crée un décalage entre le règlement-livraison des parts du fonds (en J+2, voire plus), celui des sous-jacents européens (également en J+2) et celui des titres américains (en J+1).

Avec une spécificité supplémentaire pour les véhicules cotés en Bourse que sont les ETF car il faut faire cohabiter deux systèmes : d’un côté, un marché primaire correspondant à la création (ou destruction) des parts d’ETF et à l’achat (ou la vente) des sous-jacents par le « participant autorisé » (AP) partenaire du fournisseur d’ETF ; de l’autre, un marché secondaire où s’échangent les parts d’ETF. « Ce n’est pas la première fois que l’on est face à ce type de décalage – la Chine et l’Inde ont déjà un cycle de règlement-livraison en J+1 par exemple – mais il s’agit ici d’un changement pour le plus grand marché mondial, dans lequel les ETF européens sont massivement investis », prévient Brieuc Louchard, head of ETF capital markets chez Axa IM.

Des règles Ucits à respecter

En tant que titres européens, les parts de ETF Ucits vont continuer à dépendre du régime J+2 au niveau du marché secondaire. En revanche, l’industrie a été obligée de trouver une parade à ce décalage pour ce qui concerne le marché primaire. Deux premiers cas de figure sont relativement simples. Si l’ETF n’est pas investi en titres américains, rien ne change. Inversement, « si l’ETF est uniquement constitué de titres américains, il a été décidé de basculer le cycle de règlement-livraison des parts d’ETF en J+1 pour l’aligner à celui des sous-jacents », indique Brieuc Louchard. Cela évite ainsi que le véhicule se retrouve dans une situation, soit d’excédent de cash, soit de découvert du fait de ce décalage, risquant ainsi de dépasser les seuils prévus par les règles Ucits en termes de gestion du cash (pas plus de 20 % de cash dans le fonds et maximum 10 % de découvert). Une telle violation serait problématique et coûteuse. « Il existe le risque réglementaire accru de dépasser, de manière passive, les ratios OPCVM, or ni l’Esma ni l’AMF n’ont apporté de précisions particulières vis-à-vis de cette problématique de cash management, met en garde Mathilde Le Roy, responsable droit des marchés financiers à l’AFG. S’ajoute un risque opérationnel, celui de l’échec de transactions qui peut entraîner des pénalités financières. »

Ce choix d’aligner les délais au niveau du marché primaire des ETF est donc une solution de simplicité, mais elle présente tout de même des inconvénients. « L’AP crée (ou détruit) les parts sur le marché primaire avec un décalage d’un jour ouvré par rapport au marché secondaire, note Grégoire Blanc, global head of capital markets & liquidity chez Amundi. L’AP joue donc un rôle de tampon pour absorber le désalignement du cycle de règlement-livraison entre le marché primaire et secondaire. » Une mission qui aura vraisemblablement un coût en termes de frais de transaction de la part des market makers et des brokers, in fine à la charge des investisseurs. « Les fourchettes de prix à l’achat ou à la vente pourraient s’élargir à la marge, précise Brieuc Louchard. De plus, comme cet écart reflète le coût de la liquidité pour les market makers, on peut s’attendre à ce qu’il se réduise pour refléter la probable baisse à venir des taux directeurs. »

A lire aussi: Post-marché : T+1, le grand chambardement

Le sujet se complexifie toutefois nettement lorsque l’on aborde le cas des ETF composés à la fois de titres américains et européens, tels que ceux répliquant le MSCI World. Une partie de l’industrie a décidé de passer les souscriptions de parts d’ETF en J+1 mais de conserver les rachats en J+2. « Cela permet d’éviter les positions de découvert », justifie Grégoire Blanc. Grâce à la souscription en J+1, l’ETF reçoit à temps les liquidités dont il a besoin pour régler les titres américains et garde le surplus pour les titres européens le lendemain. Inversement, avec le rachat en J+2, il reçoit le cash des titres américains vendus en J+1 et attend celui des titres européens le lendemain pour honorer son paiement au titre des parts de fonds détruites. Amundi tout comme Axa IM ont opté pour cette solution mais « ce choix varie d’un acteur à l’autre, selon la nature de ses clients ou encore de la capacité de ses intermédiaires à opérer le cash management », souligne Adina Gurau-Audibert, directrice des expertises à l’AFG.

Vers un cycle de J+1 en Europe aussi ?

La semaine du 27 mai sera ainsi à haut risque pour les acteurs de l’écosystème, d’autant que cette bascule outre-Atlantique correspond à la date où plusieurs indices importants verront leur composition évoluer, au titre des « rebalancements » réguliers : les équipes vont être amenées à mener de front l’ensemble de ces chantiers, ce qui accroît le risque opérationnel. Des risques qui devraient perdurer dans le temps. « Il est important d’étudier comment le marché américain va opérer ce changement de délai de règlement-livraison des titres, et notamment son articulation avec le marché des changes et celui des prêts-emprunts, non directement concernés par la bascule, souligne Adina Gurau-Audibert. Il est en tous cas essentiel d’attendre de dresser ce bilan avant d’envisager un tel changement en Europe. » Une idée que soutiennent ces derniers mois la Commission européenne et l’Esma.

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