
Thibaud de Cherisey (Invesco) : «Les ETF devraient être le premier pas des épargnants en Bourse»

Sixième acteur en termes d’encours sur le marché européen des fonds indiciels cotés (ETF) avec 68 milliards de dollars à fin mars, Invesco s’est positionné dans le top 3 des meilleures collectes en 2022, grâce à 7,4 milliards de dollars de souscriptions nettes. Le début d’année a toutefois été plus difficile pour le fournisseur américain, qui a même connu deux mois de décollecte en janvier et février, essentiellement du fait de son ETC (produit indiciel coté) sur l’or. Son responsable de la distribution analyse les récents mouvements et revient sur ses priorités.
L’Agefi : Quelles stratégies tirent votre collecte dans l’environnement volatil de ces derniers mois?
Thibaud de Cherisey : On a assisté à deux principales séquences de marché. Entre juin 2022 et mars 2023, le changement de paradigme a été très net sur les classes d’actifs obligataires, et tout particulièrement sur la dette souveraine et la dette d’entreprise libellée en euros. Invesco a bénéficié de ce mouvement, puisque nous avons collecté en net 5,4 milliards de dollars sur nos ETF obligataires européens en 2022, soit la deuxième meilleure collecte du marché. Sur le marché actions, on a constaté une accélération de la diversification des portefeuilles vers les marchés émergents, et notamment la Chine, ainsi qu’un retour sur les actions européennes. Mais depuis mars, les flux sont de nouveau dynamiques sur les actions américaines, ce qui nous a été favorable puisque nos ETF sur ces marchés sont très reconnus. Nous avons ainsi collecté 731 millions de dollars depuis début mars sur nos ETF actions. Enfin, l’intérêt des investisseurs pour l’or, qui s’était essoufflé fin 2022-début 2023, semble revenir.
Votre ETC sur l’or, qui est l’un des plus importants du marché, a effectivement enregistré une décollecte d’un milliard d’euros sur le premier trimestre. Que s’est-il passé ?
Avec le retour de rendements à 3 ou 4% sur les actifs obligataires les mieux notés, les investisseurs ont envisagé de les utiliser à nouveau comme la valeur sûre de leurs portefeuilles et se sont interrogés sur la place de l’or. Certains ont ainsi pris leurs profits et nous avons en effet constaté des sorties en janvier, notamment de deux clients importants. Mais elles ne sont pas le reflet d’un problème sur le produit. Ces clients sont d’ailleurs en train de revenir, à la faveur de la reprise de la hausse du cours de l’or et du contexte d’incertitude. Grâce à cette collecte, l’encours a repassé le seuil des 15 milliards d’euros.
En cinq ans, nous avons lancé 68 ETF, sur les 130 que nous proposons.
Quelles sont vos priorités de développement sur votre offre d’ETF ?
Ces cinq dernières années, nous avons cherché à étoffer notre gamme pour qu’elle soit complète. Sur la période, nous avons lancé 68 ETF, sur les 130 que nous proposons. Notre ambition était de rejoindre le peloton de tête du marché européen et c’est aujourd’hui le cas puisque nous sommes en sixième position. Depuis 2017 et le rachat de Source, notre encours a progressé de près de 24% par an en moyenne, un rythme deux fois plus rapide que le marché. Aujourd’hui, l’une de nos priorités est de nous assurer que, pour chaque classe d’actifs, nous disposons d’une offre qui intègre les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Pour cela, nous lançons de nouveaux produits ou nous transformons des ETF existants, à l’image de celui sur les obligations corporate en euros qui suit des critères ESG depuis l’an dernier. Notre autre défi est de parvenir à faire croître certains de nos produits dont l’encours est encore trop limité. Pour cela, nous devons aller concurrencer des ETF installés depuis plus longtemps que nous sur le marché, en offrant des produits de meilleure qualité en termes de tracking error, de performance ou de frais de gestion. C’est ce qui nous pousse, depuis cinq ans, à être le fer de lance de la réplication synthétique.
Que proposez-vous sur ce dernier point ?
Nous sommes agnostiques sur le sujet et nous offrons souvent les deux types de réplication, physique et synthétique. Mais nous considérons que sur certaines classes d’actifs, la réplication synthétique a un réel intérêt et que, si l’investisseur est à l’aise avec cette approche, il a alors intérêt à la privilégier. C’est tout particulièrement le cas des actions américaines – notre ETF sur le S&P 500 est exclusivement synthétique – mais aussi des actions chinoises. Nous avons beaucoup travaillé avec les équipes de gestion des risques de plusieurs grands investisseurs qui avaient des réticences. Nous leur avons expliqué en détail le mécanisme et fait rencontrer nos partenaires pour la gestion des dérivés. Ils ont pu comparer les résultats : sur certaines classes d’actifs, on constate, de façon régulière, des surcroîts de performance de 20 à 30 points de base par an. Nous avons ainsi réussi à convaincre plusieurs grands investisseurs, notamment en Espagne.
Nous misons sur notre ETF en actions dédiées à la thématique de la blockchain
Vous avez lancé en 2021 un ETP sur le bitcoin. Quel bilan en tirez-vous ?
Certains clients institutionnels étaient demandeurs d’un tel produit, car ils considéraient qu’ils allaient devoir s’exposer à ce marché. Ces velléités ont pris une douche froide en 2022, mais elles n’ont pas pour autant disparu. Il ne s’agit pas d’effet de mode. Cette correction de marché est plutôt une manière, pour ce segment, de se focaliser sur ses composants les plus solides. Notre ETP sur le bitcoin a donc peu évolué et reste autour 200 millions de dollars sous gestion. Nous misons davantage sur notre ETF en actions dédiées à la thématique de la blockchain, qui intègre le secteur de la crypto mais aussi d’autres secteurs touchés par ces évolutions technologiques. Son encours, qui était proche du milliard de dollars, a, lui aussi, décroché l’an dernier. Il se reprend depuis le début d’année et est aujourd’hui autour de 500 millions.
Cherchez-vous à vous développer sur les ETF de gestion active ?
C’est une évolution intéressante du marché, mais qui, à la différence des États-Unis, n’en est qu’à ses débuts en Europe. Tout comme les ETF passifs ont, au départ, ciblés les grands indices, nous sommes persuadés que les ETF actifs se développeront d’abord autour de stratégies actives reconnues. C’est pourquoi nous avons choisi de lancer des ETF actifs qui utilisent le savoir-faire de notre équipe Invesco Quantitative Solutions basée à Francfort. Nous disposons d’une offre actions et nous avons récemment lancé des produits obligataires, soit un total de 400 millions de dollars d’encours.
Sur quels segments de clientèle cherchez-vous à vous renforcer ?
Au-delà des utilisateurs traditionnels que sont les sociétés de gestion, les multigérants et les banques privées, nous nous sommes focalisés sur les investisseurs institutionnels. Ces derniers ont cherché à comprendre comment, lors les épisodes de tension qu’a connu le marché du fixed income ces derniers mois, les ETF obligataires sont parvenus à fournir des prix même lorsque certains de leurs sous-jacents ne cotaient plus. Ces discussions ont favorisé l’adoption des ETF obligataires, mais aussi actions, par les assureurs et fonds de pension. Mais c’est surtout sur la clientèle des particuliers que nous axons nos efforts, car elle est au cœur de la raison d’être des ETF qui devraient être le premier pas des épargnants en Bourse. Vingt ans après leur lancement en Europe, les ETF commencent à trouver leur place sur le marché retail, en particulier en Allemagne. On assiste à la conjonction entre une demande – celle d’une nouvelle génération d’épargnants qui veulent pouvoir investir en quelques clics – et une offre, portée par les plateformes digitales. Ces dernières cherchent avant tout à augmenter leur base de clientèle, non à générer un retour sur investissement via un système de rétrocessions. Elles attendent des fournisseurs d’ETF de la transparence sur les produits, facilitée par la mise à disposition d’API (interface de programmation d’application, ndlr), et un soutien marketing et pédagogique. Nous y travaillons.
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