Julien Scatena : « Il va falloir beaucoup d’efforts d’éducation pour que les ETF soient perçus comme une enveloppe pour la gestion active »

Julien Scatena, head of marketplace au sein du fournisseur de données Trackinsight, dresse un bilan comparé des marchés des ETF américains et européens depuis le début de l’année.
Julien Scatena Trackinsight.jpg
Julien Scatena - Trackinsight  - 

L’Agefi : Après une année 2022 très difficile pour les marchés du fixed income, quel appétit montrent les investisseurs pour les ETF obligataires ?

Julien Scatena : Les performances des marchés obligataires ont effectivement été très mal orientées en 2022, ce qui a engendré des effets de marché négatifs pour les ETF obligataires. En revanche, ils ont été contrebalancés par une collecte qui est restée dynamique, à 260 milliards de dollars au niveau mondial dont 217 milliards sur le marché américain (principalement aux Etats-Unis) et 38 milliards en Europe. Les encours sous gestion sont finalement restés à peu près stables, à 1700 milliards de dollars. Par ailleurs, les émetteurs d’ETF ont continué d’être actifs avec 260 nouveaux produits obligataires mis sur le marché en 2022, contre 137 en 2021. Ainsi, malgré le contexte de marché difficile, la dynamique autour des ETF obligataires s’est maintenue. L’enquête mondiale que nous avons menée en début d’année auprès de plus de 500 investisseurs professionnels a confirmé l’intérêt soutenu de ces derniers pour ce segment de marché : 40 % déclaraient ainsi vouloir augmenter leur exposition aux ETF obligataires en 2023. Nous le constatons déjà sur la collecte depuis le début d’année, dopée par le retour à des rendements attractifs : aux Etats-Unis, elle suit un rythme similaire à 2022 avec 108 milliards de dollars de souscriptions, tandis qu’en Europe, le niveau de l’an dernier est déjà dépassé, avec des flux de 42 milliards. Au sein de la classe d’actifs, on peut aussi noter le développement rapide du segment des obligations vertes en Europe : les ETF sur les green bonds ont collecté, depuis début 2023, 8,3 milliards de dollars, soit 20 % de la collecte des ETF obligataires et 33 % de celle des ETF ESG !

Dans un contexte marqué par un violent mouvement anti-ESG outre-Atlantique, comment se situe la demande pour ce type d’ETF justement ?

Les marchés américains et européens sont radicalement différents sur le sujet de l’investissement durable. Aux Etats-Unis, les ETF ESG ont enregistré une décollecte de 1,6 milliard de dollars depuis le début d’année, contre une collecte de 5,7 milliards en 2022. En Europe, les flux dépassent les 25 milliards de dollars à fin juin, à mi-chemin de leur collecte de l’an dernier.

Il n’y a donc pas d’explosion de la demande, même en Europe…

Notre enquête montre que l’appétit pour les ETF ESG reste plutôt constant parmi les investisseurs professionnels européens. On ne voit pas leur intérêt se tasser, en particulier de la part des institutionnels qui continuent de convertir leurs portefeuilles à l’ESG, soit par conviction, soit dans le cadre de stratégies menées au niveau du groupe en attendant peut-être à terme des contraintes réglementaires. Ce n’est pas une ruée mais un mouvement de long terme.

Les ETF de gestion active sont plébiscités aux Etats-Unis. Ce succès peut-il être dupliqué en Europe ?

Au niveau mondial, la demande pour les ETF actifs est très forte, que ce soit pour les actions ou les obligations. Mais effectivement, à l’inverse des ETF ESG pour lesquels l’Europe domine, l’histoire des ETF actifs est avant tout américaine puisque les Etats-Unis captent 90 % de la collecte depuis le début d’année. Outre-Atlantique, les ETF actifs représentent près de 40 % des flux totaux, contre 7 % des encours. On assiste à un vrai déplacement du marché vers la gestion active, à mettre en lien avec l’explosion de l’offre : en dix-huit mois, 400 nouveaux ETF actifs y ont été lancés, contre une cinquantaine en Europe. Outre les différences de réglementation – avec un régulateur européen qui se focalise sur la protection des investisseurs et impose des contraintes qui freinent l’expansion de l’offre –, de fiscalité ou encore de niveau de développement de l’écosystème, c’est surtout un écart culturel qui sépare les deux régions. En Europe, les ETF ont été popularisés autour du concept de « trackers » et il va falloir beaucoup d’efforts d’éducation pour qu’ils soient aussi perçus comme une enveloppe pour la gestion active.

Quelles tendances constatez-vous sur le segment des ETF actions thématiques ?

En termes de collecte, ce sont les thématiques associées à la lutte contre le changement climatique et l’atteinte de la neutralité carbone qui dominent, avec 10 milliards de dollars de flux depuis le début de l’année. A l’inverse, on constate des sorties de thèmes comme les infrastructures, notamment digitales, et les énergies alternatives. Ces flux apparaissent d’ailleurs décorrélés des performances puisque la thématique des infrastructures digitales est celle qui connaît la plus forte hausse depuis le début de l’année, à + 30 %. D’après les résultats de notre étude, les ETF thématiques sont majoritairement utilisés par les investisseurs professionnels pour leurs vertus de diversification dans un premier temps mais également pour prendre des paris sur le long terme, reflétant des convictions.

A quelles conditions les ETF adossés à des cryptoactifs peuvent-ils finir par décoller ?

Blackrock vient de déposer une demande d’agrément auprès du régulateur américain pour un ETF physiquement investi en bitcoin, alors que jusqu’ici seuls des ETF utilisant des dérivés (futures contracts) avaient été agréés. Cela fait des années que les acteurs tentent d’obtenir un tel agrément. Si Blackrock y parvenait – ce qui n’est pas improbable étant donné les garanties données en matière de lutte contre la fraude et de sécurisation des actifs –, l’impact serait phénoménal sur le marché, et beaucoup de fournisseurs lui emboîteraient le pas. Ce mouvement a d’ailleurs déjà commencé. Le marché européen profiterait vraisemblablement de cet engouement. Il bénéficie aujourd’hui d’une offre abondante, mais exclusivement composée d’exchange-traded products (ETP) qui n’ont pas le label Ucits ni le niveau de protection qui le caractérise. On compte ainsi 95 ETP crypto en Europe, sur 147 au niveau mondial, mais seulement 163 millions de dollars de flux depuis le début d’année. C’est aussi un enjeu d’éducation des investisseurs : la complexité du marché des cryptos justifie la délégation de ce type de gestion à des experts. Les ETF peuvent jouer ce rôle.

Un évènement L’AGEFI

Plus d'articles du même thème

A la Une

Contenu de nos partenaires

A lire sur ...