
ETF cryptos : un « effet Blackrock » à confirmer

En juin, les produits indiciels adossés à des crypto-actifs ont attiré, au niveau mondial, 425 millions de dollars, selon les données d’ETFGI. Des flux significatifs pour cette classe d’actifs naissante qui permettent à la collecte sur l’année d’atteindre 242 millions de dollars. Selon les calculs de Trackinsight, le mouvement est plus net encore : les souscriptions d’ETF crypto ont atteint 517 millions de dollars en juin, pour une collecte de plus de 800 millions depuis début 2023. Des estimations qui varient beaucoup – en fonction du nombre de produits pris en compte et sous l’effet d’une très forte volatilité du sous-jacent notamment – mais qui font état d’une même tendance : après une année 2022 catastrophique pour les cryptos, sur fond de scandales à répétition (faillite de FTX, de Terra Luna, etc.), l’intérêt des investisseurs semble revenir.
Une forme de désinhibition
L’actualité du secteur en juin n’y est probablement pas étrangère. La révélation, mi-juin, que Blackrock avait déposé une demande d’agrément auprès du régulateur américain, la SEC, pour un ETF bitcoin de réplication physique a mis le marché en effervescence. Ce type d’ETF n’a encore jamais été approuvé, la SEC pointant la plupart du temps un risque de manipulation du marché sous-jacent. Mais le fait que ce soit le plus grand asset manager au monde qui postule relance les espoirs de l’ensemble de l’écosystème. « Qu’elle soit acceptée ou non, cette demande d’agrément témoigne d’un intérêt grandissant de la sphère financière traditionnelle pour les crypto-actifs : c’est une forme de désinhibition qui est à l’œuvre, estime Alexandre Stachtchenko, expert indépendant et auteur de « Bitcoin & cryptomonnaies faciles ». Après Jamie Dimon, le P-DG de JP Morgan, c’est au tour de celui de Blackrock, Larry Fink, de changer de discours : il y a quelques années, il voyait le bitcoin comme un «indice du blanchiment» et aujourd’hui parle d’un «espoir» pour la nouvelle génération d’épargnants ! Les tabous tombent. »
A lire aussi: Le bitcoin comme actif d’investissement gagne en crédibilité auprès des institutionnels
Aux Etats-Unis, les prévisions s’affolent : certains commentateurs n’hésitent pas à mettre en avant un marché potentiel de 30.000 milliards de dollars, celui des encours gérés par des conseillers financiers et qui pourraient être investis en ETF bitcoins. Même si des estimations moins extravagantes sont bien en-deçà – les portefeuilles ne basculeront jamais intégralement vers des produits cryptos –, l’attrait est toutefois réel et les fournisseurs d’ETF ne s’y sont pas trompés : pas moins de sept autres acteurs ont des demandes similaires en cours d’examen, parmi lesquels des asset managers traditionnels comme Invesco ou Fidelity. C’est aussi le cas de 21Shares qui dépose régulièrement des demandes depuis cinq ans, dont une en mai, en partenariat avec Ark Invest. «Si l’agrément est octroyé à des ETF bitcoin, on peut s’attendre à des flux de capitaux de la part des clients individuels, via leurs gestionnaires de patrimoine, mais aussi des investisseurs institutionnels : tous les types de investisseurs pourraient bénéficier de la structure de l’ETF, classique, comprise de tous, transparente et claire sur le plan fiscal », se projette Ophelia Snyder, co-fondatrice et présidente de 21Shares.
L’Europe, un pionnier discret
En Europe, l’histoire est toutefois différente. « En Europe, il y a déjà beaucoup de produits indiciels cryptos, adossés soit à des jetons individuels, soit à des paniers plus diversifiés », rappelle Sihem Labbas, responsable des pays francophones chez Wisdomtree. Ce dernier, tout comme 21Shares, a lancé il y a quelques années son activité d’ETF cryptos depuis l’Europe. Ou plutôt d’ETP (exchange-traded products), car le statut de « fonds » ne peut être donné, dans l’Union européenne, pour ce type de sous-jacents, de surcroît non diversifiés. Un investisseur qui achète une part de ces ETP détient un titre de créance et non une action, comme dans le cas d’un ETF. Une caractéristique qui pousse d’ailleurs un acteur comme Jacobi Asset Management à vouloir lancer un vrai « ETF » bitcoin depuis Guernesey.
A lire aussi: Cryptomonnaies : Le casse-tête des gérants
Mais pour les fournisseurs installés, le cœur du problème est ailleurs et tient surtout au fait que ces ETP ne bénéficient pas du label « Ucits ». « C’est un point bloquant pour les investisseurs qui souhaiteraient inclure ces produits dans leurs propres fonds Ucits, souligne Sihem Labbas. A part la BaFin allemande qui les accepte dans certains cas, les régulateurs européens n’ont pas encore statué sur l’éligibilité des ETP cryptos dans les fonds Ucits. La même question s’était posée dans les années 2000 pour les ETP sur les matières premières et il avait fallu quelques années avant que les autorités se prononcent. » En attendant, les encours restent au plancher : selon Trackinsight, bien que le marché européen compte 87 ETP cryptos, ces derniers pèsent moins de 5 milliards de dollars d’actifs sous gestion, dont 3 milliards pour le seul bitcoin. Très loin des 580 milliards de capitalisation du principal crypto-actif du marché.
Un sujet politique ?
Un agrément outre-Atlantique serait-il en mesure de changer la donne en Europe ? « Ce qu’il se passe aux Etats-Unis peut stimuler le marché européen, essentiellement parce que cela contribuerait à la levée de l’incertitude réglementaire qui entoure les cryptos, au même titre que la résolution du conflit qui oppose la SEC et Coinbase par exemple », veut croire Ophelia Snyder. Deux sujets plus liés qu’il n’y paraît car c’est justement sur Coinbase que repose l’acceptabilité des ETF bitcoins soumis à approbation. Blackrock – ainsi que d’autres postulants – a négocié avec cette plateforme d’échange et de stockage de crypto-actifs majeure aux Etats-Unis, un accord de « partage de surveillance » du marché du bitcoin, pour prévenir les manipulations. Agréer les ETF sans lever les poursuites contre Coinbase semble dès lors délicat. « C’est aussi un sujet politique, lié au maintien en poste ou non du président de la SEC, Gary Gensler, qui est à l’origine de la poursuite en justice de Coinbase », glisse Alexandre Stachtchenko. Après près d’une décennie de tentatives, et une trentaine de refus de la SEC, les fournisseurs d’ETF espèrent que, cette fois-ci, l’effervescence ne finira pas en feu de paille.
Plus d'articles du même thème
-
Calastone dévoile une solution de numérisation de fonds
Le réseau britannique de transactions de fonds Calastone vient de lancer une solution de numérisation de fonds, Calastone Tokenised Distribution. Les gérants qui opèrent sur le réseau de Calastone peuvent numériser leurs fonds et le distribuer sur diverses chaînes de blocs (blockchain) qu’elles soient publiques, privées ou hybrides. Cela inclut entre autres les blockchains Ethereum, Polygon et Canton. -
Un rebond rapide, mais mesuré, est attendu pour les marchés actions
Les gestionnaires interrogés anticipent une reprise de 8% à 9% des Bourses dans les six prochains mois, et de 12% à 14% sur un an. -
PARTENARIAT
L’essor des ETF actifs
Les ETF actifs attirent des investisseurs en quête des avantages de la gestion active et de l'atout de l’enveloppe ETF.
A la Une
Contenu de nos partenaires
-
Pénuries
En combat air-air, l'aviation de chasse française tiendrait trois jours
Un rapport, rédigé par des aviateurs, pointe les « vulnérabilités significatives » de la France en matière de « supériorité aérienne », décrivant les impasses technologiques, le manque de munitions et les incertitudes sur les programmes d'avenir -
Escalade
L'armée algérienne passe à la dissuasion militaire contre la junte malienne
La relation entre Alger et Bamako ne cesse de se détériorer ces derniers mois alors qu'ex-rebelles et armée malienne s'affrontent à la frontière algérienne -
En panne
Pourquoi les Français n’ont plus envie d’investir dans l’immobilier
L’immobilier était le placement roi, celui que l’on faisait pour préparer sa retraite, celui qui permettait aux classes moyennes de se constituer un patrimoine. Il est tombé de son piédestal. La faute à la conjoncture, à la hausse des taux, à la chute des transactions et à la baisse des prix, mais aussi par choix politique : le placement immobilier a été cloué au pilori par Emmanuel Macron via une fiscalité pesante et une avalanche de normes et d’interdictions