
Anne Richards: « Un tournant pour le rôle sociétal des gérants d’actifs »

Nous sommes à un moment rare de l’histoire. De nombreuses entreprises, voire des industries entières, sont confrontées à un avenir incertain, leur survie même étant en jeu.
La crise a mis en évidence des carences dans le financement de l’industrie, des défaillances au niveau du marché du travail et des politiques environnementales, mais surtout au sein des chaînes d’approvisionnement mondiales. Elle nous a appris que les plans de continuité d’activité revêtent autant d’importance qu’une bonne gestion des risques ou qu’une optimisation des chaînes d’approvisionnement.
Comment pouvons-nous à présent recapitaliser l'économie et quelles conditions devraient être associées à cela pour la façonner à l’aune de la reprise ?
D’un point de vue financier, la réponse s’est jusqu’à présent limitée à un apport en liquidités aux entreprises dans l’urgence, sous la forme de prêts et de garanties : une solution rapide et efficace au problème immédiat de liquidité, face à l’effondrement des revenus engendré par la mise à l’arrêt de pans entiers de l'économie.
Endettement excessif
Toutefois, il ne s’agit là que d’une solution de court terme. En bout de course, un endettement excessif sera un frein à la croissance et à la productivité futures. Il suffit de regarder les exemples de l’Occident après la crise de 2008 et du Japon dans les années 90 pour comprendre qu’un alourdissement effréné de la dette peut avoir des conséquences économiques néfastes très tangibles.
En outre, dans cette situation, une menace très sérieuse pèse : celle que la plupart de ces prêts d’urgence ne soit jamais remboursée. Un problème de liquidité temporaire se transformerait donc en un problème d’insolvabilité permanent, à mesure que les entreprises déclareraient faillite.
La recapitalisation de l'économie nécessite de mobiliser des capitaux, et le type de capitaux utilisés pour ce faire pourra conduire à des configurations économiques très différentes à l’avenir. Les pouvoirs publics, les épargnants individuels, les capitaux privés ou encore les capitaux d’investisseurs institutionnels à l’instar des fonds de pension ou des bilans d’entreprises - tous devront être mis à contribution.
Tandis que les pouvoirs publics réfléchissent aux options envisageables pour remettre les entreprises d’aplomb, nous plaidons avec conviction pour qu’ils considèrent certaines alternatives à travers une recapitalisation en fonds propres, clairement vitale. Là-dessus, le secteur de la gestion d’actifs a toute sa place pour prendre part au débat et contribuer à trouver des solutions.
Parmi elles, des idées font leur chemin au Royaume-Uni comme celle d’un produit d’investissement en actions, déployé spécifiquement dans le cadre du Covid-19, destiné à une clientèle de particuliers qui ferait travailler l'épargne collective, tout en exposant le grand public aux bénéfices de la reprise économique. D’autres propositions encore plus audacieuses et ambitieuses ont été lancées : par exemple, la création d’un fonds souverain ou d’une nouvelle forme de société coopérative ou mutuelle.
Bien entendu, si les investissements doivent être réalisés au service de la société, afin de maintenir le système économique à flot, le mandat d’investissement doit alors pleinement intégrer les besoins de celle-ci.
A ce titre, les grandes entreprises, disposant d’une forte influence compte tenu de leur taille, pourraient mettre à profit les maillons de leur chaîne d’approvisionnement, en relocalisant les parties les plus sensibles de celle-ci et ainsi se prémunir contre certains risques de perturbations ou en proposant une amélioration des conditions de crédit convenues avec leurs fournisseurs ou une réduction de leurs délais de paiement pour mobiliser davantage leur fonds de roulement au service de l’économie.
Combler les lacunes
Face à la reprise continue, quoique lente, observée depuis la dernière crise financière, beaucoup d’acteurs avaient fini par croire, à tort, que les pics et les creux de cycles ne seraient plus que de lointains souvenirs, et de nombreuses entreprises se sont structurées autour de la conception erronée d’une croissance ininterrompue… si bien que les plans d’urgence ont été progressivement laissés de côté car ils semblaient davantage gaspiller des ressources plutôt que de les préserver.
La crise nous a appris (ou plutôt, nous a rappelé) qu’un système d’allocation des ressources efficace est là pour nous permettre de rester agile face à l’inconnu et à l’imprévisible. Elle se présente aussi comme une opportunité de déployer tous les outils financiers de façon innovante pour combler les lacunes du système.
Le cruel besoin en recapitalisation actuel représente en réalité une occasion rare de redéfinir notre économie et le contrat social qui la sous-tend, et de la rendre ainsi plus solide, plus équitable et, en fin de compte, plus durable.
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