Travis Spence (JPMorgan AM) : «Les investisseurs obligataires veulent de la gestion active»

De passage à Paris, Travis Spence, responsable de la distribution ETF pour la zone EMEA chez JPMorgan AM, est revenu pour L’Agefi sur le choix du gestionnaire américain de miser sur les ETF actifs, y compris en Europe. Un segment en forte croissance qu’il domine très largement avec 40% de parts de marché.
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Travis Spence, responsable de la distribution ETF pour la zone EMEA chez J.P. Morgan Asset Management  - 

Vous venez de rejoindre l’activité ETF de JPMorgan AM en mars dernier, après de nombreuses années dans l’univers obligataire. Qu’est-ce qui vous frappe dans cette industrie des fonds cotés ?

Les ETF sont un univers assez unique dans l’industrie des services financiers. Ils opèrent dans un écosystème collaboratif composé de multiples acteurs (fournisseurs d’ETF, participants autorisés, dépositaires…) qui innovent, en coulisses, avec un même objectif : rendre l’investissement plus simple. Le marché des ETF progresse en moyenne de 18% par an ces quinze dernières années. Peu d’industries croissent aussi vite !

Dans cet univers, JPMorgan AM mise tout particulièrement sur le segment émergent des ETF gérés de manière active. Qu’en attendez-vous ?

Les ETF actifs connaissent une très forte croissance, deux fois plus rapide que celle de l’industrie des ETF en général, avec une hausse de 41% des encours mondiaux en cinq ans. Et cela va continuer. Aux Etats-Unis, ils représentent d’ores et déjà 6% des actifs sous gestion et 25% des flux nets cette année. Dans la zone UCITS, leur poids est pour l’instant de 2% mais ils attirent 5 à 6% de la collecte, parfois 10% certains mois. JPMorgan AM capte les trois-quarts de ces flux européens cette année, pour une part de marché qui atteint 40%. Nous sommes donc bien placés pour voir ce que veulent les investisseurs. Tous sont concernés par cette évolution, des épargnants particuliers aux institutionnels les plus sophistiqués : après s’être familiarisés ces trente dernières années avec les ETF passifs, ils vont chercher à combiner les bénéfices de cette enveloppe avec la capacité de la gestion active à générer de l’alpha. C’est tout particulièrement attractif dans l’environnement de marché plus volatil que nous connaissons aujourd’hui.

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Quels cas d’usage principaux envisagez-vous pour ces instruments ?

Ils sont tout d’abord utilisés comme des briques d’allocation cœur de portefeuille. A travers notre plateforme «Research Enhanced Index», nous incorporons dans nos ETF nos process d’investissement actifs, qui ont régulièrement généré, ces dernières années, une surperformance nette de frais de 90 à 100 points de base, tout en maintenant un écart faible avec le benchmark. Les ETF actifs sont également un instrument intéressant lorsque l’on souhaite intégrer les enjeux de durabilité : dans un contexte de renforcement de la réglementation, l’approche active permet de plus facilement s’adapter aux nouveaux standards. Nos ETF obligataires verts, sociaux et durables ont pu être classés «article 9» selon la règlementation SFDR car nous sommes en mesure d’analyser chaque émetteur et de nous assurer que chaque titre entre bien dans notre définition de l’investissement durable. Enfin, les ETF actifs sont une réponse lorsque l’on cherche à atteindre certains résultats. Sur les enjeux de durabilité, par exemple, nous venons de lancer une série d’ETF à la fois ISR et alignés sur l’Accord de Paris (PAB), classés «article 9» : le thème PAB intéresse beaucoup d’investisseurs mais les performances de ce type d’indices sont décevantes ces deux dernières années. Avec notre approche active, nous pouvons tenir l’objectif de décarbonation tout en améliorant la performance. Un second exemple est l’offre d’ETF actions mondiales que nous venons de lancer en Europe et qui visent à réduire la volatilité tout en obtenant un meilleur revenu, grâce à une stratégie de couverture à base d’options. Nous avons réussi à lever 30 milliards de dollars avec une stratégie équivalente aux Etats-Unis ces trois dernières années.

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Quelle place accordez-vous aux sous-jacents obligataires dans votre stratégie ?

A la faveur de la hausse des taux, beaucoup d’investisseurs mènent des réflexions en profondeur sur la construction de leurs portefeuilles mais attendent le bon moment pour se positionner sur les obligations. Nous pensons que ce moment est arrivé. Le poids des ETF obligataires est faible : ils ne représentent que 2,5% des 130.000 milliards de dollars d’encours des marchés obligataires dans le monde. Cela signifie que les investisseurs obligataires veulent de la gestion active. Or l’offre d’ETF actifs est très réduite : en Europe, on n’en compte que 33 parmi 450 ETF obligataires, et ils sont concentrés sur la partie très courte de la courbe des taux. Nous cherchons donc à lancer davantage d’ETF obligataires actifs, en capitalisant sur notre solide historique de performance dans ce domaine. Une bonne illustration est le lancement du premier ETF UCITS Global Aggregate Bond actif du marché européen, en octobre.

Etes-vous également intéressés par les ETF obligataires datés, comme ceux lancés par BlackRock ou DWS ?

Nous ne voyons pas ces stratégies comme de la gestion active. Certains investisseurs essaient de «timer» le marché mais c’est particulièrement difficile sans la vision large qu’ont développée nos équipes. Notre priorité est donc d’offrir des produits qui aident les investisseurs à investir tout au long du cycle.

Aux Etats-Unis, vous avez développé votre activité d’ETF actifs en convertissant des fonds traditionnels. Pourriez-vous faire de même en Europe ?

Ce n’est pas ainsi que l’industrie européenne s’organise et ce n’est pas non plus notre priorité. Nous pensons qu’il y aura une demande pour les deux formats : cela dépend essentiellement de l’infrastructure mise en place par chaque investisseur. Nos clients choisissent d’abord la stratégie de gestion qui les intéresse et ensuite réfléchissent au véhicule.

Envisagez-vous de vous positionner comme une plateforme de création d’ETF en marque blanche, à l’image de ce que fait Goldman Sachs aux Etats-Unis ?

Nous sommes favorables à l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché des ETF actifs : offrir davantage d’options aux investisseurs renforcera leur attractivité. Mais notre objectif est d’émettre des ETF basés sur nos propres stratégies, pas celles des autres.

Le marché européen des ETF est dominé par les investisseurs institutionnels. Le segment des particuliers peut-il aussi être intéressé par les ETF actifs, notamment via les plateformes en ligne ?

Dans cinq à dix ans, l’ensemble des distributeurs vont s’adapter pour offrir à la fois des fonds traditionnels et des ETF. Certains acteurs digitaux privilégieront les ETF pour la simplicité qu’ils offrent dans la création de portefeuilles, en particulier pour leur clientèle la plus jeune, mais tous les acteurs vont évoluer. Le développement de la clientèle «retail» sera un vrai moteur pour le marché européen des ETF.

Les ETF actifs doivent-ils être aussi «low cost» que leurs équivalents passifs ?

Ce n’est pas nécessaire : le coût est un élément important de l’équation mais ce qui intéresse le client, c’est le retour sur investissement global, net de frais, qu’il obtient. Et cette surperformance sera encore plus visible grâce à la totale transparence du véhicule ETF.

Aux Etats-Unis, la croissance des ETF actifs a été dopée par un avantage fiscal au profit des fonds cotés. Le marché européen peut-il se développer sans un tel catalyseur ?

C’est ce que l’on constate déjà dans le marché : même dans certains pays où les ETF sont fiscalement désavantagés par rapport aux fonds traditionnels, ils croissent. Ils sont utilisés pour tous leurs autres bénéfices : leur facilité d’accès, la visibilité quotidienne qu’ils offrent, leur intégration simple dans les outils de suivi… Avoir accès à tout, au même endroit, et changer quand on veut : c’est ce que tout client attend de nos jours, qu’il achète de la musique ou des produits d’investissement !

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