Finance d'entreprise

La fiducie a levé l’obstacle de valorisations incertaines dans l’accord entre Renault et Nissan

Bruno Robin, associé du cabinet d’avocats FTPA et avocat fiduciaire du cabinet Robin de Malet Fiduciaire, décrypte les derniers montages fiduciaires en France.
Avocat
Nissan, constructeur automobile japonais
Une tribune de Bruno Robin sur le mécanisme fiduciaire, notamment chez Renault-Nissan  -  Crédit Nissan.

La fiducie franchit de nouvelles étapes en France avec deux importants accords financiers signés récemment. Cet outil juridique vient d’être utilisé pour régler une problématique d’actionnariat par Renault et Nissan, en décembre dernier. Il sert aussi pour régler des accords sur des dettes non remboursées à l’échéance dans certains prêts garantis par l’Etat (PGE).

On rappellera d’abord que la fiducie n’a été intégrée en droit français qu’en 2007 pour, enfin, constituer une sorte d’alter ego des trust anglosaxons ou germaniques.

Le mécanisme fiduciaire consiste pour un individu (ou une personne morale) à apporter un bien, comme du cash, des actions de société, un immeuble ou tout autre actif corporel ou incorporel, à un fiduciaire, à charge pour le fiduciaire d’en faire l’usage requis aux termes de la mission qui lui est confiée. Le bien concerné n’est alors plus dans le patrimoine de l’individu apporteur, lequel ne conserve qu’une créance de restitution soit du bien lui-même à l’issue de la fiducie, soit de sa contrepartie financière si le bien a été cédé par le fiduciaire, soit du bénéfice qu’il tire de l’opération fiduciaire in fine.

Dans notre environnement juridique, nous connaissons déjà l’assurance-vie dont elle emprunte des caractéristiques, puisqu’un individu transfère ici à un assimilé fiduciaire qu’est l’assureur une somme d’argent de façon à ce que ce dernier en fasse l’usage qui lui a été confié, par exemple remettre cette somme aux enfants de l’individu en cas de décès, voire payer un solde d’emprunt immobilier en cas de défaut de paiement.

Le cas Renault-Nissan

Au cas d’espèce du co-actionnariat croisé Renault-Nissan, l’accord récent trouvé par les deux constructeurs semble s’être appuyé sur un mécanisme fiduciaire.

Selon les informations publiques partagées, la problématique des négociations entre les deux groupes est que si Renault est disposé à un rééquilibrage des participations croisées entre Nissan et Renault, cela suggère une cession partielle immédiate des actions détenues par Renault dans Nissan, afin que Renault détienne le même pourcentage dans Nissan qu’inversement. Or le cours des actions Nissan est jugé aujourd’hui peu favorable et entraînerait une perte financière réelle.

Grace à la fiducie, on peut néanmoins contourner cet écueil, ou au moins le cantonner à son simple constat comptable sans son constat économique attaché.

A lire aussi: «La fiducie française n'est pas un trust»

Il s’agit pour cela pour Renault (Constituant à la fiducie) d’extraire dès maintenant juridiquement partie des actions qu’il détient dans Nissan (ici 28,4% de Nissan) en en transférant «provisoirement» mais juridiquement la propriété à un fiduciaire (usuellement une institution financière ou un avocat fiduciaire), qui en devient temporairement propriétaire au sein d’un patrimoine d’affectation, un peu comme si ces actions étaient mises «sous cloche» pour un certain temps, le Constituant (ici Renault) en conservant in fine le bénéfice économique, mais, sauf quelques aménagements contractuels, en en perdant le bénéfice politique, c’est-à-dire essentiellement les droits de vote.

En d’autres termes, le fiduciaire devient actionnaire à 28,4% de Nissan, pour le bénéfice économique in fine de Renault, et aura la charge de céder ces 28,4% d’actions Nissan dans un «moment économique plus opportun».

Ce «moment économique plus opportun» sera certainement déterminable selon des critères objectifs que les parties (Nissan et Renault) n’ont pas dû manquer de largement détailler au contrat fiduciaire.

Grâce à cet habile scénario, on comprend que via ce portage fiduciaire, les deux actionnaires se retrouvent facialement et juridiquement à parts comparables, pour Nissan de 15% dans Renault et pour Renault de 15% dans Nissan.

L’impact sur les résultats de Renault

D’un point de vue comptable et fiscal dès lors que Renault perd effectivement, à l’occasion de cette fiducie, le contrôle, au sens de la doctrine fiscale, sur les actions transférées, ces dernières devraient être transférées et inscrites au bilan du fiduciaire à leur valeur réelle, et non à leur valeur nette comptable, ce qui suggère ici de constater immédiatement dans les comptes de Renault la moins-value latente, générant sans doute une perte significative qui demeurerait comptable, laissant espérer un retour à meilleure fortune d’un point de vue économique en cas de revalorisation des actions Nissan à moyen terme.

Le sort des actions Nissan apportées par Renault en fiducie

Le Contrat Fiduciaire organise librement la règle du jeu au regard du sort des actions apportées.

Il peut, par exemple, effectivement prévoir qu’en cas de cession des actions Nissan par le fiduciaire, la société Nissan aurait un droit préférentiel pour acquérir lesdites actions et, s’agissant ainsi du rachat de ses propres actions, les annuler aussitôt.

Toutefois, en ce cas, cela profiterait à égalité à chacun des actionnaires, dont Renault, du fait de la relution que cela opérerait et ils demeureraient ainsi à parts égales dans Nissan, sauf bien sûr à ce que le droit de préférence ne soit pas consenti à Nissan elle-même, mais au-dessus, à ses propres actionnaires.

L’utilisation de la fiducie par l’Etat dans le cadre des PGE

L’Etat utilise lui-même la fiducie, à ce stade à titre confidentiel, pour restructurer ceux des PGE que certaines entreprises de grosse taille sont aujourd’hui dans l’incapacité de rembourser.

Dès lors que l’entreprise est aujourd’hui en défaut, l’Etat a voulu mettre en place, en ayant recours à la fiducie, une alternative à exiger, en sa qualité de garant des banques, le remboursement immédiat, avec pour corollaire l’inéluctable dépôt de bilan de l’entreprise, et les drames sociaux que cela infère, et en réalité la perte sèche pour l’Etat.

Pour cela, les banques cèdent à un fiduciaire les créances douteuses PGE, l’Etat apportant de son côté au fiduciaire le montant correspondant à sa garantie due aux banques, grâce à quoi le fiduciaire paye les banques.

L’entreprise en difficulté émet de son côté des obligations remboursables en actions que le fiduciaire va souscrire par compensation avec la créance PGE qu’il détient.

Ainsi, l’Etat, seul bénéficiaire de la fiducie, n’a pas constaté de perte puisqu’il détient une créance de restitution sur le fiduciaire.

Un traitement discriminatoire ?

Au terme de l’emprunt obligataire, l’Etat peut espérer un retour à meilleure fortune de l’entreprise concernée avec potentiellement une forte prise de valeur, auquel cas le fiduciaire convertira ses obligations en actions, avec à la clé une importante plus-value qui reviendra à l’Etat.

Ainsi l’Etat a le bénéfice économique des actions constituant le remboursement des obligations, sans que jamais il ne soit lui-même détenteur des obligations ou actionnaire de l’entreprise, ce qu’il serait difficile de concevoir.

On ne peut qu’espérer que l’Etat imagine, au travers d’un contrat fiduciaire cadre, faire bénéficier toutes les entreprises, et notamment celles de plus petites tailles, de ce mécanisme, car il serait particulièrement dommageable que seules les grosses entreprises en bénéficient quand les plus petites, elles, seraient contraintes de rembourser leur PGE ou de sombrer, ce qui caractériserait un traitement discriminatoire critiquable au regard de l’égalité en droit des acteurs économiques.

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