
Le passage à l’échelle de l’IA constitue un enjeu de taille pour les sociétés de gestion

En matière d’utilisation de l’intelligence artificielle (IA), les idées et les projets ne manquent pas au sein des sociétés de gestion. C’est du moins ce qui est ressorti de la conférence d’ouverture de l’AM Tech Day, organisé ce mardi 8 octobre par L’Agefi,
«Nous avons une cinquantaine de cas d’usage qui nous remontent», illustre Laurence Arnold, global head of innovation, client operations, performance and reporting chez Axa Investment Managers. «Les gens ont plein d’idées, c’est formidable ! De plus, faire des proofs of concept dans un environnement sécurisé est assez facile avec l’IA générative. Mais les mettre en œuvre est une autre question…», nuance-t-elle.
Le véritable enjeu est effectivement «le passage à l’échelle», c’est-à-dire le déploiement au sein de l’ensemble de l’entreprise. Cela pose une série d’interrogations : «comment arrive-t-on à diffuser, avoir de l’impact ? Comment utilise-t-on stratégiquement l’IA pour améliorer des cas d’usage business, de la génération de revenus ?», énumère Laurence Arnold. Pour elle «on est encore dans le tâtonnement, dans la recherche de l’impact stratégique».
Du côté de Natixis Investment Managers, on affiche aussi «une boîte mails remplie d’idéations», selon Christophe Lanne, global chief operating and transformation officer. Il faut donc «faire le tri, entre celles qui sont intéressantes, celles qui sont rentables, et voir comment on embarque l’entreprise». Par exemple, NIM travaille «sur des modèles simples qui permettent d’améliorer la productivité individuelle». L’objectif in fine est d’«identifier des besoins génériques sur ces sujets de productivité qu’on va déployer sur l’ensemble de l’organisation».
Le gérant augmenté
Côté sujets abordés, la génération d’alpha, au cœur de la gestion d’actifs, semble difficile à traiter. «On est très loin d’avoir de l’IA qui va remplacer le gérant actif», résume Christophe Lanne, qui ajoute que cela poserait un problème à de nombreuses sociétés de gestion si tel était le cas. «Aujourd’hui, nous travaillons beaucoup plus sur la notion de gérant augmenté : on va demander au gérant d’intégrer plus d’éléments dans sa prise de décision, d’aller plus vite dans sa prise de décision de gestion ou d’utiliser des données plus importantes, non structurées, dans le process de gestion», détaille-t-il.
Là où les cas d’usage sont plus importants et forts chez Natixis IM, c’est dans la distribution. «Comme on le voit déjà dans les activités bancaires, grâce à l’IA, la relation clients va devenir encore plus personnalisée», estime-t-il. Parmi les domaines sur lesquels Natixis IM travaille, Christophe Lanne mentionne les appels d’offres, un domaine abordé par d’autres sociétés. Le groupe se penche aussi sur la multiplication et l’analyse des contacts clients de l’ensemble des collaborateurs, afin d’identifier les tendances clients et in fine améliorer les relations clients.
Le métier titres BNP Paribas réfléchit aussi intensément sur l’expérience clients. «Avec l’avènement de large language model, nous travaillons beaucoup sur l’interaction clients et notamment l’analyse des communications par mail avec nos clients, afin d’améliorer l’expérience clients, la rapidité des échanges, etc. Par exemple, nous travaillons sur l’optimisation des réponses aux demandes clients de nos chargés de comptes… Cela permet aux équipes de se concentrer sur ce qui est important, en délaissant les tâches automatisables», explique Fabrice Silberzan, responsable de la transformation industrielle du métier Securities Services de la banque.
Chez Axa IM, même constat : «Nos cas d’usage portent beaucoup sur l’efficacité opérationnelle, la rapidité de lecture des documents, et beaucoup moins sur la génération d’alpha», indique Laurence Arnold.
Coût flou
Quant à la question du coût de ces projets, le flou reste de mise. «Les cas qui sont à l’étude posent le sujet de la pérennisation et du budget qu’on veut y mettre tous les ans», souligne Hélène Filippi directrice direction conseil et contrôles chez Groupama Asset Management. «Il y a énormément de sujets dans les différentes équipes qui peuvent améliorer le quotidien. Mais quand on additionne les chiffres, on aboutit à un montant assez important à la fin.» Pour elle, «il faut réussir à se projeter sur les points clés et les attentes des collaborateurs et l’utilité la plus importante».
Laurence Arnold estime juste que l’IA pèse 1% à 5% de l’enveloppe projets des entreprises.
Pourtant, ce coût est important, et il est parfois rédhibitoire pour les acteurs les plus petits. Et pour Muriel Faure, senior advisor de Tiepolo et présidente de la commission de l’innovation technologique à l’Association française de la gestion (AFG), cela est un motif d’inquiétude. «On voit bien que les grandes maisons ont les moyens et aussi la compréhension de l’importance d’investir pour améliorer leur efficacité opérationnelle. Le revers de la médaille est que le fossé entre les grosses sociétés de gestion et le tier 2 et 3 est en train de s’accroître.» A cela s’ajoute le coût de la donnée et celui du capital humain. Elle appelle donc les sociétés de gestion à réfléchir à la façon de mutualiser certains de ces sujets d’IA et aboutir à un projet utile à tous. «Avoir une réflexion commune est stratégiquement très important pour la profession ».
Laurence Arnold nuance toutefois ce propos en estimant que les petits acteurs ont l’avantage d’être agiles, ce qui n’est pas le cas des gros acteurs, pour qui la transformation peut être difficile. Elle estime aussi que c’est l’occasion de voir de nouveaux modèles se créer.
Embarquer les collaborateurs
Pour travailler sur la tech, les institutions indiquent recourir à différents modèles, avec des spécialistes en interne, mais aussi des prestataires, des acquisitions… Concernant les ressources humaines, l’attractivité est un enjeu clé. Certains spécialistes de l’IA préféreront travailler dans des start-up plutôt que dans de grandes institutions financières. Il n’est pas non plus facile de trouver des profils ayant des connaissances à la fois tech et financières. Laurence Arnold a donc souligné l’importance de former des personnes en interne.
Enfin, pour être une réussite totale, l’IA doit aussi embarquer l’ensemble des collaborateurs d’une entreprise. Les intervenants ont évoqué la manière dont ils tentaient de mobiliser leurs collaborateurs sur le sujet. Hélène Filippi a expliqué avoir organisé chez Groupama AM une journée intégralement dédiée à l’IA et constaté que cela avait permis de rassurer une partie des salariés. Mais le plus difficile reste de changer les habitudes.
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