
Comment assurer la liquidité des fonds illiquides ?

Les fonds investis en equity, dans des actifs réels ou en dette privée non cotée, offrent des rendements très attractifs qui incluent la prime d’illiquidité. Ils ont, en revanche, un défaut inhérent à leur nature même : l’illiquidité de l’investissement dans ces fonds.
Les fonds dits « fermés », ou closed-end, ne posent pas de difficultés. Les investisseurs ne peuvent pas demander le rachat de leur investissement à la société de gestion. Ils sont remboursés pendant la période de désinvestissement en fonction des remboursements ou des cessions des actifs illiquides en portefeuille. Mais la question se pose pour les fonds dits « ouverts », ou open-ended. A leur propos, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a modifié, le 24 novembre 2022, sa doctrine concernant les outils de gestion de la liquidité. Les fonds nouveaux doivent prévoir dans leur document réglementaire (les fonds existants ont jusqu’au 31 décembre 2023 pour se mettre en conformité) un mécanisme de plafonnement des demandes de rachat (gates) et/ou un mécanisme permettant de compenser ou de réduire les coûts de réaménagement du portefeuille supportés par l’ensemble des investisseurs à l’occasion des souscriptions et des rachats (swing pricing, ou droits ajustables acquis).
Les sociétés de gestion qui décideraient de ne pas introduire un mécanisme de plafonnement devront déclarer les raisons de leur décision et fournir à l’AMF une déclaration sur la reconnaissance des risques encourus par le fonds et ses investisseurs. Pour les fonds existants, les sociétés de gestion devront informer les investisseurs de l’absence d’introduction d’un tel mécanisme. Un avertissement type devra être inséré dans leur document réglementaire, visant à mettre en garde les investisseurs sur l’absence d’un tel mécanisme et le risque accru de suspension totale des souscriptions et des rachats.
S’agissant du mécanisme de swing pricing, l’AMF a complété son instruction DOC-2017-05 afin d’encadrer le recours à ce mécanisme. Là encore, les sociétés de gestion qui décideraient de ne pas l’introduire devront déclarer les raisons de leur décision et fournir à l’AMF une déclaration sur la reconnaissance des risques encourus par le fonds et ses investisseurs.
Ces outils de liquidité sont souvent complétés par l’introduction d’une période de blocage (lockup period), correspondant à la période de constitution du portefeuille, durant laquelle aucune demande de rachat n’est possible. Ce n’est qu’à l’expiration de cette période de blocage que les investisseurs peuvent demander le rachat de leur investissement, dans la limite des gates. Il est également souvent prévu que toute demande de rachat doive être adressée à la société de gestion moyennant un délai de préavis afin de lui permettre de prendre les mesures nécessaires pour assurer la liquidité d’une partie du portefeuille. Certains documents réglementaires prévoient aussi la possibilité pour la société de gestion de satisfaire en nature (in kind) les demandes de rachat, en allouant aux investisseurs tout ou partie des investissements détenus en portefeuille, ce qui suppose notamment pour les fonds de dette privée que ces attributions en nature soient compatibles avec les règles applicables en matière de monopole bancaire.
Ces mécanismes, que l’on appellera « de liquidité primaire », sont utiles et éprouvés. Il n’est pas certain qu’ils suffisent à assurer seuls la liquidité de ces fonds illiquides, d’autant que toute obligation pour la société de gestion de détenir une « poche liquide » pour honorer les demandes de rachat réduit d’autant cette rentabilité du fonds que les investisseurs ont recherchée en souscrivant.
Liquidité « secondaire »
Or l’enjeu de la liquidité des fonds illiquides n’est jamais devenu aussi crucial. Avec Eltif 2.0, les fonds d’investissement alternatifs (FIA) relevant de la directive AIFM, qu’ils soient investis en equity, dans des actifs réels ou en dette privée non cotée, peuvent désormais être commercialisés dans toute l’Union européenne auprès d’investisseurs non professionnels dès le premier euro, s’ils sont agréés Eltif. Ce nouveau segment d’investisseurs n’a pas le même horizon de temps que celui des investisseurs professionnels, qui sont, le plus souvent, dans une optique « hold to maturity ».
Pour que cette « retailisation » des fonds illiquides soit un succès, Eltif 2.0 prévoit un mécanisme optionnel d’appariement, sur le marché secondaire, des demandes de sortie des investisseurs avec les demandes d’entrée des nouveaux investisseurs. Cependant, ce mécanisme, qui rappelle celui des sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) en France, ne suffira pas à créer un réel marché secondaire. Le décalage probable entre l’offre et la demande se traduira par une décote importante du prix de cession sur le marché secondaire, d’autant plus que le marché est souvent soit « tout vendeur », soit « tout acheteur ».
Une manière de compléter cette « liquidité secondaire » pourrait résulter de l’engagement de prestataires externes d’assurer la liquidité d’un fonds d’investissement à hauteur d’un pourcentage de son capital, dans des conditions qui seraient mentionnées aux investisseurs sur le site du fonds d’investissement.
Ces prestataires de liquidité externe pourraient être les banques : elles sont d’ores et déjà fournisseuses d’equity bridge financings pour les fonds d’investissement ; elles pourraient diversifier leur offre en proposant d’acheter aux investisseurs ayant une préférence pour la liquidité leurs parts dans un fonds d’investissement, moyennant une décote par rapport à sa valeur liquidative. Ces prestataires pourraient surtout être des fonds d’investissement, dits « fonds secondaires » (secondaries), en très fort développement aux Etats-Unis, dont la thèse d’investissement est de racheter aux investisseurs qui le souhaitent leurs parts dans des fonds d’investissement « fermés ». Venant en complément de la société de gestion du fonds d’investissement primaire, voire à son initiative, ces fonds secondaires doivent avoir une connaissance fine du portefeuille d’actifs afin de faire un pricing aux meilleures conditions. Il est permis d’espérer que le développement de cette « liquidité secondaire » permettra d’accroître la liquidité des fonds illiquides afin d’assurer le succès de leur « retailisation »… ■
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