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Quand l’économie comportementale rend les hausses d’impôt plus acceptables

Faire accepter par les Français de nouvelles hausses d’impôt est un exercice délicat. Mais les connaissances concernant la psychologie des contribuables ne manquent pas, estime Mickaël Mangot, spécialiste d’économie comportementale et enseignant à l’Essec.
Docteur en économie, Spécialiste d'économie comportementale
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Il y a partout une tendance «naturelle» à l’aversion à l’impôt.  - 

En France, le Conseil des Prélèvements Obligatoires produit depuis 2021 un Baromètre des prélèvements fiscaux et sociaux en France. La deuxième édition du Baromètre publiée en début d’année révèle un rapport contradictoire des Français à l’impôt. L’aversion à l’impôt (avec 75% des sondés qui trouvent le taux d’imposition trop élevé) est nette mais elle se mêle d’une aversion encore plus grande à la réduction des dépenses publiques. Ainsi, seule une minorité des Français accepterait une baisse des dépenses publiques contre une baisse de leurs impôts.

Le Premier ministre pourra s’appuyer aussi sur les enseignements, nombreux, de l’économie comportementale, lesquels peuvent avantageusement aiguiller les politiques publiques. D’ailleurs depuis une quinzaine d’années, les apports de cette discipline à mi-chemin entre l’économie et la psychologie (popularisée par les prix Nobel Daniel Kahneman et Richard Thaler) irriguent les ministères et les agences étatiques, en France (à la Direction Interministérielle de la Transformation Publique) comme ailleurs.

Que nous apprend l’économie comportementale sur les mécanismes de la perception et de l’acceptation de l’impôt ?

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L’aversion à la perte

D’abord, il y a partout une tendance «naturelle» à l’aversion à l’impôt. La position réflexe est de vouloir minimiser son impôt. L’aversion à l’impôt traduit une double réaction psychologique classique face à la perte et à la contrainte.

D’une part, l’aversion à la perte est largement documentée et s’observe dans de nombreux pans de la vie (au travail, dans la consommation, dans les investissements, dans le sport, etc.). Les humains, et pas seulement les humains, ressentent avec plus d’intensité les pertes que les gains et, de manière connexe, se mobilisent davantage pour éviter des pertes que pour obtenir des gains.

D’autre part, la réactance psychologique traduit la tendance à s’opposer aux tentatives de nous contraindre, quand bien même ce serait fait de manière légitime ou bien intentionnée. Des expériences en laboratoire ou réelles montrent que les citoyens rejettent régulièrement des propositions de nouvelles politiques publiques, même lorsque celles-ci améliorent sans ambiguïté le bien-être individuel et collectif. Ainsi, même s’il a un but social comme le don, l’impôt (contraint) n’est généralement pas vécu aussi positivement que le don (volontaire). En économie du bonheur, il n’est pas rare d’observer que les donateurs sont significativement plus heureux que leurs comparables qui ne donnent pas. Cela n’a, en revanche, jamais été observé pour l’impôt…

L’acceptation de l’impôt dépend de multiples facteurs, au-delà de l’intérêt personnel. Il y a d’abord des facteurs «généraux» qui affectent tous les impôts auxquels est soumis le contribuable. Celui-ci accepte d’autant plus la pression fiscale qu’il considère que l’action de l’Etat est efficace, qu’il a confiance dans les institutions publiques et qu’il a le sentiment d’une certaine équité fiscale.

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Des facteurs propres à chaque impôt

Il y a aussi des facteurs propres à chaque impôt. Généralement, on consent davantage aux impôts invisibles (par exemple la TVA), à ceux pour lesquels l’usage des fonds est transparent et ceux dont les bénéfices associés sont clairs. Le consentement est encore augmenté quand on se sent proche psychologiquement des bénéficiaires de l’impôt et quand l’on peut donner son avis sur l’usage des fonds collectés (comme dans les budgets participatifs).

Il est à noter qu’au-delà de l’aversion à l’impôt, il y a une aversion aux mots «impôt» et «taxe». Le soutien envers les services publics est significativement amoindri lorsque l’on rappelle qu’ils sont financés par un impôt ou une taxe, plutôt que lorsque l’on évoque des «ressources», des «recettes» ou des «revenus» fiscaux ou que l’on parle de «contribution» de la part des contribuables. Il semblerait que certains mots chantent assez peu à l’oreille. Dans toutes les langues.

Plus généralement, il ressort de la recherche qu’il existe une certaine irrationalité face à l’impôt, laquelle donne des leviers d’actions aux décideurs publics pour rendre plus acceptables des augmentations, par nature impopulaires. En particulier, les perceptions sont très sensibles aux effets de cadrage (la présentation des faits qui vient «fabriquer» un point de référence à partir duquel on se sentira en gain ou en perte) et à l’illusion nominale (la tendance à réfléchir sans prendre en compte l’inflation). Certaines hausses d’impôt «déguisées» suscitent moins d’opposition parce qu’elles ne donnent pas l’impression d’occasionner une perte sèche. C’est par exemple le cas des gels de barème et de l’absence de reconduction des niches fiscales.

Pour conclure et, accessoirement, donner du baume au cœur à Michel Barnier, ce dernier point : l’aversion aux hausses d’impôt est un phénomène dynamique. Du fait d’un mécanisme d’adaptation, les contribuables sont généralement beaucoup plus hostiles avant qu’après les hausses d’impôt. Paraphrasant René Char, un conseiller ministériel de sensibilité littéraire pourrait glisser à l’oreille de notre premier ministre : «Impose ta chance, va vers ton risque, serre ton bonheur. A te regarder augmenter les impôts, ils s’habitueront.”

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