Finance d'entreprise

Placements de trésorerie : pour une poignée de points de base

Alors que le brouillard des taux négatifs n’est pas encore dissipé, le trésorier reste obnubilé par la sécurisation de sa cassette.
Benoit Menou
Placements de trésorerie Pour une poignée de points de base
Le PGE a permis aux sociétés non financières françaises de préserver leur situation de trésorerie.  -  DR

Si l’optimisation du placement de l’excédent de trésorerie est une réflexion que tout chef d’entreprise rêve de mener, elle n’en relève pas moins, souvent, du casse-tête. D’autant plus aujourd’hui, quand, dans un univers de taux d’intérêt et donc de rémunérations anémiques, la vague du Covid a précédé le conflit russo-ukrainien qui souffle sur la braise de l’inflation, que tentent d’apaiser les politiques monétaires en laissant miroiter la hausse des taux.

Le prêt garanti par l’Etat (PGE) aura, en règle générale, finalement permis aux sociétés non financières françaises, non seulement de préserver leur situation de trésorerie, mais de constituer un épais coussin de précaution. L’institut d’études économiques Rexecode estime à 116 milliards d’euros à fin février, après un pic de 148 milliards en août 2020, cette « surliquidité », écart entre les dépôts à vue auprès du système bancaire – environ 670 milliards d’euros aujourd’hui – et ce qu’aurait pu être ce montant hors effets du Covid, calculé sur la base de la tendance de 2015 à 2019. « Cette surliquidité s’érode naturellement, en restant élevée, sous les effets conjugués des premiers remboursements de PGE et de la hausse des coûts des matières premières », pointe Denis Ferrand, directeur général de Rexecode.

Peu de marge d’interprétation

La situation inédite marquée par des taux négatifs n’a « pas de quoi bouleverser l’essence même de la mission de trésorier », tempère Brice Desmaretz, directeur corporate finance et marchés chez Danone, qui, lui, navigue sans PGE. Cette mission reste de « garantir à tout moment la liquidité, c’est-à-dire la disponibilité de la trésorerie ». Ce « ‘à tout moment’, complète-t-il, peut bien entendu être nuancé en fonction du cycle de trésorerie » propre à chaque société. De fait, toute initiative de placement implique d’avoir une visibilité sur le niveau d’excédent, exceptionnel ou récurrent, actuel et prévisionnel.

Cela ne va pas de soi. Pour déterminer la trésorerie disponible, « les informations convergent depuis tous les services et systèmes de l’entreprise vers le trésorier et ses outils, d’Excel en logiciels dédiés », note Jean-Jacques Levy, consultant en gestion de trésorerie. Cela passe aussi par la formalisation en amont d’une politique interne fixant un cadre d’action, de la plus extrême prudence au degré d’optimisation permise. Et donc de risque accepté.

Selon Jean-Jacques Levy, « il faut sans doute imaginer autant de scénarios de placement que de devises, la volatilité des cours de change étant déjà en soi un risque majeur ». Sans omettre l’horizon de placement. Et non pas d’investissement, terme qui aura toujours pour le trésorier une connotation d’aventure, d’ailleurs proscrit dans le cadre du PGE.

La « règle du jeu », pour Brice Desmaretz, en matière de terrain de chasse du trésorier est d’abord encadrée par la notion d’équivalent de trésorerie. Les normes comptables, en l’occurrence l’IAS 7 Etat des flux de trésorerie, stipulent que la trésorerie stricto sensu englobe les fonds en caisse et les dépôts bancaires à vue, autant dire le véritable cash. Les équivalents de trésorerie sont des placements à court terme, très liquides et soumis à un risque négligeable de changement de valeur.

Pas d’actions, d’immobilier ou de cryptomonnaies

«  Le commissaire aux comptes dispose de peu de marge d’interprétation pour valider le statut d’instruments en équivalence », sésame de déductibilité de la dette brute, précise le directeur corporate finance et marchés. Oubliés, donc, comme destination naturelle primaire, les actifs tels que les actions, l’immobilier, le change… ou les cryptomonnaies.

Ces territoires, explique David Guyot, directeur général du courtier dédié au placement de trésorerie Pandat Finance, « peuvent être explorés par toute société, mais avant tout par celles s’accordant une plus grande flexibilité, typiquement familiales ou non cotées. Plus la taille augmente, plus il est délicat d’aller vers l’investissement ».

Le contexte de taux négatifs brouille les pistes des produits, faisant de la mise en sommeil du cash un choix en soi. Au moins, la rémunération nulle n’est pas négative. Dans le cadre de son enquête mensuelle scrutant l’humeur des adhérents de l’Association française des trésoriers d’entreprise (AFTE), Rexecode leur demande de classer par ordre d’importance – en les notant de 1 à 4 – les placements qu’ils utilisent (voir le graphique en fin d’article). Si l’enquête publiée mi-avril valide le bonnet d’âne des titres de créances négociables (TCN), avec une note minimale moyenne de 1 – car, selon un observateur, « plus personne n’en émet » –, elle confirme surtout le plébiscite accordé au cash, avec une note moyenne stable de 3,7.

« Plus que la note, pointe Denis Ferrand, c’est la tendance qui est signifiante : on voit que, tendanciellement, depuis quelques années, le cash surpasse les autres placements. » « Je suis surpris, ajoute-t-il, qu’il conserve une telle note, le contexte de hausse attendue des taux n’a pas encore, selon notre baromètre, suscité de choix de changement d’allocation, cela devrait être prochainement le cas », quand les trésoriers pourront utilement le faire travailler.

Fonds monétaires

Pourtant, l’équation se complexifie davantage quand le virus du taux négatif touche les dépôts à vue. Frappées par le taux négatif de -0,5 % depuis l’automne 2019 au guichet de la facilité marginale de la Banque centrale européenne (BCE), les banques rechignent à accepter les dépôts dormants. Elles refacturent même le taux de la BCE aux plus grands déposants au-delà d’un certain montant. Il est ainsi consenti à quelques dizaines de sociétés en France un plafond d’exemption de quelques dizaines ou centaines de millions d’euros.

« La très grande majorité parviennent à être exonérées », note David Guyot, mais pour les victimes, le seuil de « gratuité » est souvent insuffisant. Quelle est alors l’alternative au compte courant payant pour ces grands clients ? Les fonds monétaires, qui sont « le seul vrai placement avec liquidité réelle », souligne Brice Desmaretz. D’autant qu’ils présentent un rendement, certes dans le rouge, mais tout juste plus favorable que celui du dépôt onéreux : autour de -0,45 % annuel depuis l’automne 2019 selon le cadre de Danone, contre -0,50 % pour la référence BCE, agrémentés de menus frais bancaires. Ces OPCVM « constituent un choix contraint par défaut », note Guénolé Quéau, directeur du développement d’Arkéa Banque Entreprises et Institutionnels.

Les banques disposent, de fait, d’un outil complémentaire dans leur boîte, pour une diversification non soucieuse de liquidité immédiate : le dépôt à terme (DAT). Assorti d’un préavis de sortie de 32 jours et avec une rémunération initialement faible mais progressive sur une durée de vie principalement de trois à cinq ans. Elle a progressé, chez Arkéa, « de 40 à 50 points de base (pb) depuis le début de l’année, mais va rarement au-delà de 1 % sur la dernière année du placement », indique Guénolé Quéau. Les trésoriers « se tournent désormais davantage vers cette solution après avoir vivement renforcé leurs dépôts à vue en 2020 et 2021 ».

Certes, la contrepartie d’un produit bancaire est unique, quand « le fonds monétaire permet une grande diversification, c’est un argument non négligeable », souligne Emmanuelle Court, directrice générale déléguée, responsable du développement de CPR Asset Management. Surtout, les volumes proposés de DAT peuvent se révéler limités pour de grands groupes, comme le regrette Brice Desmaretz pour Danone, dont l’excédent de trésorerie est de fait « en grande majorité placé en fonds, avec une petite poche DAT ». Sur cette dernière, juge-t‑il, « si les taux poursuivent leur remontée, les banques devront s’adapter en matière de rémunération, nous aurons sans doute des discussions ».

Actuellement, conseille Jean-Jacques Levy, « mieux vaut s’engager sur des maturités les plus courtes possible ». Guénolé Quéau décoche alors une autre option : le produit structuré, qui peut porter le taux d’un DAT jusqu’à 6 % en fonction du sous-jacent, taux ou action. « Un produit réservé à la trésorerie pérenne, prévient le banquier, taillé sur mesure par société, en collaboration avec notre salle de marchés. » Une garantie du capital est possible à échéance, avant laquelle le client sortant s’expose au risque de marché.

Et puisque le trésorier souhaite aussi être responsable sur ses placements, l’offre s’adapte. Avec des fonds monétaires, comme CPR Monétaire ISR, au sein duquel « les émetteurs sont sélectionnés selon des critères ESG (environnement, social, gouvernance), la prise de conscience ne cesse de s’accélérer », stipule Emmanuelle Court. Guénolé Quéau évoque « le DAT RSE, dont la rémunération est diminuée de 5 à 10 pb par rapport aux DAT standards, cette différence étant directement fléchée vers une enveloppe de financement à taux bonifiés pour des projets responsables ».

L’horizon de la hausse des taux, qui sera progressive, « ne correspond pas à une révolution pour les placements du trésorier mais lui procurera davantage d’opportunités », estime David Guyot. Pour l’heure, Brice Desmaretz relève que « les gérants de fonds ont le doigt sur la gâchette, en position d’attente après avoir saturé leur poche de cash ».

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