Finance d'entreprise

La pertinence discutable des rachats d’actions propres

L’avis d’expert d’Yves Ceelen, Directeur de gestion de portefeuilles institutionnels, Degroof Petercam Asset Management
Rachat d’actions
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Yves Ceelen, Directeur de gestion de portefeuilles institutionnels, Degroof Petercam Asset Management

Depuis le début de l’année, les sociétés cotées rachètent massivement leurs propres actions. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais le volume des rachats d’actions n’a cessé d’augmenter aux Etats-Unis depuis 2012 et ce phénomène touche depuis quelques années aussi l’Europe. Depuis la crise économique de 2008, le montant total d’actions rachetées par les entreprises aux Etats-Unis a ainsi quasiment atteint les 5.000 milliards de dollars, bien plus que les montants consacrés par la Réserve fédérale américaine à l’achat d’obligations dans le cadre de l’assouplissement quantitatif. Le tout accumulé représente tout de même environ 20 % de la capitalisation boursière américaine actuelle.

Comme pour la politique de dividende, les raisons mises en avant par une entreprise pour racheter ses propres actions sont diverses. Pour celles qui génèrent beaucoup de liquidités, racheter des actions peut être une option opportune : il vaut mieux redistribuer l’argent aux actionnaires plutôt que le dépenser dans des projets ou acquisitions infructueux. Un second avantage des rachats de titres est le fait que les sociétés qui en font voient le coût de leur capital baisser. En effet, les fonds propres, dont les exigences de rendement sont élevées, sont remplacés lors de l’opération par des emprunts moins chers ou remboursés par un excès de trésorerie. Ceci est d’autant plus vrai dans le contexte actuel de taux historiquement bas, résultant des politiques monétaires accommodantes des banques centrales. Pour les actionnaires, cette situation est positive, du moins à court terme.

Plus vulnérables

Or, le nombre d’entreprises qui a mis un programme de rachat d’actions en place ou prévoit de le faire semblent aujourd’hui trop nombreux. En effet, ce phénomène signifie aussi qu’un grand nombre d’entreprises n’utilisent pas leur trésorerie pour investir afin de soutenir leur croissance future. L’importante augmentation de la dette des entreprises américaines trouve d’ailleurs en grande partie son explication dans la multiplicité de ces opérations de rachats de titres. Beaucoup de ces sociétés qui ont sauté le pas seront plus vulnérables lorsqu’une récession arrivera, car émettre de la dette pour racheter des actions ne génère pas une meilleure capacité de remboursement. Ainsi, on dénombre aujourd’hui 536 entreprises dites « zombies » au sein de l’OCDE, car elles affichent toutes un Ebit (bénéfice avant intérêts et impôts) inférieur à la charge d’intérêt. Historiquement, ce phénomène coïncidait avec la fin des crises économiques, mais actuellement l’économie est en phase de croissance.

Il existe également d’autres raisons pour procéder à des rachats d’actions, dont la pertinence peut être discutable. En diminuant le nombre d’actions en circulation, le bénéfice par action augmente. Mécaniquement, l’action devient plus attractive, car le bénéfice par action (PER), paramètre scruté par les investisseurs, augmente. La direction d’une entreprise pourrait donc être tentée de procéder à une telle opération afin de soutenir le cours de l’action, surtout lorsque les nouvelles sont mauvaises. Les dirigeants peuvent donc être juge et parti dans ce genre de décisions, car leurs rémunérations sont souvent indexées sur la performance boursière de l’action.

Au vu de l’accroissement substantiel du nombre d’opérations de rachat, une intervention des organismes de régulation n’est pas exclue. Récemment, la US Securities & Exchange Commission (SEC) a déjà insisté sur le fait que de nombreux dirigeants vendent des parts importantes de leurs propres actions juste après l’annonce d’une opération de rachat par leur entreprise.

Il est utile de rappeler que les rachats d’actions ont longtemps été illégaux aux Etats-Unis car considérés comme une forme de manipulation boursière. Ce n’est qu’en 1982 que la SEC a modifié la loi 10b-18 et a rendu les rachats d’actions légaux. Or, certains démocrates pressentis comme candidat aux élections présidentielles de 2020, à l’image d’Elizabeth Warren, pourraient être tentés de revoir la procédure au nom de l’égalité.

Très probablement, ce sont d’ailleurs les rachats des actions par les entreprises qui ont soutenu partiellement la hausse boursière impressionnante observée ces dernières années. Comme évoqué, il semble plausible que les rachats des actions propres soient davantage contrôlés à l’avenir afin d’inciter les entreprises à ne pas se focaliser excessivement sur le court terme. Cependant, une interdiction totale de la pratique n’est pas probable, au vu de sa valeur stratégique pour les entreprises.

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