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Il faut des mesures fortes pour relancer les marchés de capitaux européens

L’Union européenne (UE) se trouve aujourd’hui à un tournant décisif, confrontée à un recul inédit de sa compétitivité à l’échelle mondiale. Les élections européennes de juin prochain et le nouveau cycle législatif qui s’ensuivra offrent une opportunité à ne pas manquer pour définir un nouvel agenda politique restaurant la compétitivité et le potentiel de croissance de l’Europe. L’ambition qu’aura le continent pour ses marchés de capitaux sera clé pour relever ce défi.
Commençons avec l’exemple de l'évolution des introductions en Bourse des entreprises européennes. Avant la création du marché unique il y a un peu plus de trente ans, les entreprises des 27 États membres de l’UE représentaient 5% des introductions en Bourse dans le monde. Au cours des premières années du marché unique, ce chiffre a grimpé à 20%. Cependant, au cours des trois dernières années, seulement 7% des introductions en Bourse dans le monde étaient le fait d’entreprises européennes. De nombreux États membres s’inquiètent de cette diminution, et à juste titre car l’enjeu est la capacité de l’UE à soutenir les entreprises dont elle a besoin pour maintenir sa compétitivité et son rang sur l’échelle mondiale. Pourtant, nous rencontrons de plus en plus de cas (Spotify, BioNTech sont des exemples bien connus) où les entreprises européennes sont attirées par la profondeur et la liquidité de marché accrues – sans parler des valorisations plus élevées qui en résultent - que peuvent offrir d’autres places financières en dehors de l’Europe.
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D’autres chiffres soulignent l’ampleur du défi : la part de l’UE dans le PIB mondial est d’environ 18%, mais sa taille relative dans les marchés de capitaux internationaux ne s'élève actuellement qu'à 10%. Le financement des entreprises par le biais des marchés des capitaux reste en moyenne à environ 10% - un niveau comparable à celui enregistré par l’AFME il y a six ans. En comparaison, le financement de marché des entreprises au Royaume-Uni et aux États-Unis s'élève en moyenne à 26% de leur financement total. L’UE reste une économie essentiellement financée par les banques.
Bien que les dirigeants européens soient conscients de ces enjeux, il semblerait qu’il n’y ait pas encore de voie toute tracée pour les relever. Les plans d’action de l’Union des Marchés de Capitaux (UMC) de ces dernières années - malgré des objectifs ambitieux - n’ont pas donné lieu à des changements fondamentaux. Le début d’un nouveau cycle législatif européen vers la fin 2024 représentera le moment pour prendre des actions décisives et capables d’infléchir le cours des choses - avec l’objectif de transformer l’économie européenne pour la rendre plus compétitive.
Des mesures pour accroître l’échelle des marchés européens
Faire accroître l’échelle des marchés de capitaux européens nécessitera une approche combinant à la fois des initiatives provenant de chaque État membre ainsi que via des politiques de l’UE. S’il est crucial que les marchés nationaux se développent, il est également nécessaire qu’ils constituent ensemble, au niveau européen, un marché unique afin de présenter l'échelle nécessaire pour attirer les capitaux et financer les besoins économiques de l’Europe. Une partie du défi est donc de faire en sorte que les approches nationales s’inscrivent dans un cadre structuré et coordonné à l'échelle de l’UE.
Une mesure stratégique consisterait à faire en sorte que le développement de la liquidité des marchés actions soit au premier plan des objectifs politiques de l’Union. Au-delà de son rôle de moteur d’attractivité pour les capitaux et de soutien aux valorisations des entreprises, seule une liquidité du marché secondaire développée sera à même d’aiguiller la croissance au sein de l’UE. L’adoption d’une position proactive sur le sujet améliorera la dynamique du marché, incitera à plus de cotations en Bourse au sein de l’UE et renforcera la résilience du marché dans son ensemble.
La mise en œuvre de certaines propositions phares du plan d’action UMC reste essentielle à cet égard, en particulier l’adoption des mesures convenues par les colégislateurs dans le cadre du présent mandat, telles que le point d’accès unique européen (ESAP, pour «European Single Access Point») et la base de données des prix des actions et obligations consolidées (ou «consolidated tape» en anglais). Ces initiatives pourraient permettre de surmonter la fragmentation géographique actuelle des marchés de l’UE en offrant aux investisseurs un accès centralisé aux données, d’une part sur les performances financières et non financières des entreprises et, d’autre part, sur les prix de marché des titres. Ces deux catégories d’informations seront rendues accessibles et visibles pour la première fois par l’ensemble des investisseurs, que ce soit dans l’Union ou dans le reste du monde, et quel que soit le pays où l’entreprise se situe ou le lieu de la transaction.
Mises en garde
Il y a toutefois deux mises en garde. L’une est d’ordre conceptuel : il faudra développer une vision européenne des introductions en Bourse qui dissocie les «champions» économiques nationaux de leur choix du lieu de cotation au sein de l’Union. L’objectif collectif devrait être de favoriser la croissance des entreprises européennes en veillant à ce que celles qui souhaitent s’introduire en Bourse le fassent au sein de l’UE, quel que soit le pays concerné. En d’autres mots, une entreprise innovante d’un État membre doit voir ses perspectives de croissance accrues en décidant d’entrer en Bourse dans un État de l’UE différent de celui dans lequel elle est établie.
La deuxième est d’ordre technique, mais est néanmoins essentielle pour qu’une base de données de prix consolidée fournisse des informations vraiment pertinentes sur le cours des actions. Notamment, sa conception devrait être ajustée pour fournir plus de granularité sur la qualité de l’information du prix que ce qui est actuellement envisagé. Cela peut se faire dans un délai relativement court si les États membres dépassent les intérêts commerciaux existants.
Pour continuer à lever les freins à la croissance des marchés de capitaux, il sera également primordial de s’attaquer aux barrières qui existent depuis bien plus longtemps. À cet égard, faciliter les procédures de la retenue ou de récupération des taxes sur les dividendes et intérêts ou encore harmoniser les régimes d’insolvabilité des entreprises nécessitent des efforts spécifiques de la part des États membres pour s’accorder, assez rapidement, sur les propositions actuellement en cours de négociation.
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Titrisation
Quoi qu’il en soit, il est aussi nécessaire de reconnaître que le financement direct par le marché n’est pas une panacée pour tout type d’entreprise dans toute situation. C’est pourquoi la titrisation peut être un outil très utile car il permet de faire un pont entre notre système bancaire actuel et les marchés. Elle transfère le risque des bilans des banques, libérant ainsi des fonds propres qu’elles peuvent ensuite allouer à des prêts supplémentaires.
Il est désormais bien établi que l’UE est à la traîne dans ce domaine. En juin 2022, les émissions annuelles de titrisation dans l’UE et au Royaume-Uni ne représentaient que 1,2% de l’encours total des prêts bancaires, alors qu’aux États-Unis, elles représentaient 12,6% sur la même période. Pour remédier à cette situation, il est nécessaire de recalibrer le traitement prudentiel de la titrisation pour les banques et pour les assureurs, d’ajuster les exigences de reporting et de soutenir le marché naissant de la titrisation ESG. Dans tous ces domaines, l’action des décideurs politiques de l’UE peuvent avoir un vrai impact.
Ouvrir la voie à la compétitivité
Coordonner les initiatives européennes est un impératif pour parvenir à la fois à faire croître et à intégrer les marchés de capitaux en un marché unique fort pour que celui-ci atteigne l’échelle nécessaire pour restaurer la compétitivité de l’Europe sur la scène mondiale.
Si nous empruntons ce chemin avec détermination, cela ouvrira la voie à une économie européenne plus résiliente, plus dynamique et qui soit source de prospérité pour ses citoyens.
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