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Bâle 3 et le financement de l’économie européenne : la balle est dans le camp des superviseurs

Malgré des compromis nombreux, le texte final de Bâle 3 demeure imparfait. Rebaptisée CRR3 en Europe, la réforme prudentielle «Finalisation de Bâle 3» entrera en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2025.
C’est maintenant dans la mise en œuvre du texte qu’il faut revenir aux objectifs initiaux du G20 et minimiser les impacts financiers qui en découlent, afin d’éviter d’aggraver encore le manque de compétitivité du secteur bancaire européen.
Une augmentation très significative des Niveaux d’Actifs Pondérés
Le Comité de Bâle et l’Autorité bancaire européenne (EBA) ont diffusé en septembre 2023 leurs dernières analyses semestrielles d’impact sur la base des données produites par les banques à fin 2022. Il en ressort qu’en dépit des ajustements introduits en Europe pour coller plus fidèlement à nos risques réels, il en résultera au bout de la période transitoire une hausse des actifs pondérés (Risk-weighted assets ou RWA) de l’ordre de 11 % pour l’ensemble des banques de la zone Euro et qui s’élève même à 15,1% pour ses huit plus grandes banques systémiques (G-SIB), dont les quatre principaux groupes bancaires français.
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Côté Etats-Unis, une hausse même supérieure de 24% a été avancée dans la consultation des agences fédérales publiée en juillet et qui vient de s’achever le 16 janvier 2024. Celle-ci soulève de vives contestations des banques américaines qui peuvent, elles, encore être prises en compte car les États-Unis sont encore loin du texte définitif.
Ils entrent de plus dans une phase de politisation dangereuse, en amont des élections présidentielles de 2024, dans un climat qui pourrait être propice à une dilution, ou un report de la mise en application de cet accord international imposé, une fois de plus, au reste du monde par… les États-Unis !
S’adapter aux méthodes de mesure
Or, le mandat donné au comité de Bâle sur la supervision bancaire (BCBS) par le G20 lors du lancement de la «finalisation de Bâle 3» était de ne pas accroître «significativement» le niveau de fonds propres des banques mais d’en harmoniser les méthodologies de risques utilisées. En Europe, Andrea Enria, responsable de la supervision à la BCE, a déclaré que les superviseurs tiendraient compte de la hausse des exigences de RWA pour redéfinir les ratios minima de fonds propres.
Sous forme d’une image, les banques ont compris que cela signifiait une adaptation de la gradation du thermomètre, sans modifier la hauteur du mercure. En effet, le bilan des banques, et la quantité de risques qu’il contient, ne changera pas entre CRR2 et CRR3. C’est la méthode de mesure de ces mêmes risques qui change. Si le niveau actuel des fonds propres est considéré par les autorités comme satisfaisant, en moyenne, dans l’Union européenne, pour faire face même à des scénarios de stress pires que la crise de 2007/2008, comme le montrent les résultats des stress-tests publiés en juillet 2023, alors la réforme ne devrait pas se traduire par une augmentation des exigences en fonds propres, et ce, malgré l’augmentation très significative des RWA.
Ajuster les «coussins de fonds propres»
En fait, l’objectif de neutralité en capital, affirmé par le G20 et repris au niveau européen par l’Ecofin peut encore être respecté au travers d’un ajustement des coussins de fonds propres que les banques doivent respecter. Et cet ajustement apparait absolument nécessaire si l’on ne veut pas pénaliser l’économie européenne au moment où les besoins liés à la transition écologique et au numérique seront toujours plus prégnants…
Ces coussins représentent la différence entre les fonds propres d’une banque et les exigences réglementaires minimales (dites Pilier 1). Les investisseurs en titres émis par les banques scrutent attentivement cette «distance» pour évaluer la solidité de leurs placements.
Implicitement, c’est d’ailleurs le raisonnement suggéré par l’EBA elle-même dans ses propres analyses d’impact. En effet, cette Autorité conclut que, malgré l’augmentation très significative des actifs pondérés, les banques européennes n’auraient qu’un déficit de capital minime. Ce paradoxe apparent ne peut se résoudre, en simple arithmétique, qu’en reconnaissant implicitement que les ratios de fonds propres vont diminuer de l’ordre d’environ 200 points de base, mais que cette diminution, reflétant non pas une fragilité accrue, mais un simple changement de méthode doit être considéré comme acceptable.
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Ainsi, le ratio de «Core equity tier 1" (CET1) moyen des banques européennes passerait de 15% à 13%, sans susciter d’inquiétudes chez les superviseurs ou sur le marché.
D’ailleurs, la «marge de manœuvre» accumulée par les banques européennes sous la pression de leurs superviseurs visait précisément, entre autres, à leur permettre d’anticiper l’arrivée de CRR3. Il serait donc naturel que, lorsque ce choc se matérialise, une bonne partie de cette marge de manœuvre soit «consommée» par le changement de méthodes.
Une telle approche est tout à fait envisageable dans le cadre des textes votés. Rien n’oblige en effet les banques européennes à détenir autant de «fonds propres excédentaires», au-delà du niveau d’exigence, lui-même déjà très élevé en Europe par rapport aux Etats-Unis. Il suffit pour cela de rendre le raisonnement de l’EBA (endossé par son comité de direction où sont représentés tous les superviseurs de l’Union européenne) non pas implicite, mais explicite, que cette communication soit faite publiquement et reprise par les Autorités de supervision, et que la pédagogie en soit faite auprès du marché et des agences de notation.
En l’absence d’une telle communication, les dirigeants des banques n’auront pas d’autre option que de maintenir le niveau du ratio, ce qui, toujours en simple arithmétique, implique évidemment d’augmenter les fonds propres du même pourcentage que les actifs pondérés, soit 15% pour les grandes banques européennes.
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1.200 milliards d’euros de crédits en jeu
Dans ce scénario, le déficit de fonds propres n’est plus minime, comme dans l’approche de l’EBA, mais colossal, de l’ordre de 200 milliards d’euros qui devront être accumulés par les banques au détriment du financement de l’économie. L’enjeu se monte à environ 1.200 milliards d’euros de crédits qui ne pourront pas être originés par les banques, si elles doivent maintenir leurs ratios à leur niveau actuel.
Seule une baisse générale et concertée des ratios cibles permet de résoudre cette « guerre des impacts», débat entre régulateurs et industrie qui s’éternise, et doit maintenant être rapidement tranché, alors que la date de mise en œuvre approche, et que l’urgence d’investir pour atteindre les objectifs stratégiques se fait de plus en plus pressante notamment dans l’Union européenne. Souhaitons que les autorités européennes prennent leurs responsabilités dans ce qui devrait être une décision de bon sens…
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