
Vers un plus grand nombre de femmes gérantes

« La diversité, on n’y est pas encore. Il faut plus de femmes ‘role models’, des femmes qui ouvrent la voie et qui montrent qu’il est possible d’avoir une belle carrière de gérante. » Soliane Varlet, gérante de portefeuille chez Mirova, sait de quoi elle parle. Lorsqu’elle commence sa carrière en 2000 chez CM-CIC Securities en tant qu’analyste actions sell-side, elle se sent immédiatement à l’aise dans son équipe junior, assez équilibrée entre les recrues masculines et féminines. « En revanche, plus on montait en séniorité, moins il y avait de femmes », précise-t-elle, sans que cela l’interpelle sur l’impact que son genre pourrait avoir sur sa carrière. Même si on le remarquait, il y a 24 ans, on ne parlait pas tellement de ces sujets. »
Quelques années plus tard, Soliane Varlet rejoint Natixis Asset Management en tant qu’analyste action buy-side, dans un environnement déjà sensible aux enjeux de représentation. « C’est quelque chose qui m’a frappée quand je suis arrivée en 2005. J’ai remarqué qu’il y avait une présence significative de femmes à des postes de direction et de responsabilité. Par exemple, à mon arrivée, la CIO (chief investment officer) était une femme, bien qu’elle n’ait pas occupé ce poste très longtemps. »
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Management attentif
Puis, quand elle bascule dans la gestion chez Mirova, après quelques années, elle est mère de son premier enfant, comme c’est le cas de plusieurs femmes gérantes dans l’entreprise. « Il y avait aussi autour de moi des femmes avec plusieurs enfants qui arrivaient parfaitement à gérer leur vie pro et vie perso. Bon, ce n’est pas facile quand on revient de gérer cet équilibre, mais on y arrive, on s’organise différemment », assure la gérante. « Pleinement soutenue » par sa hiérarchie lors de ses deux grossesses, Soliane Varlet évolue en pleine confiance et participe au lancement d’un fonds sur une thématique qui lui tient à cœur : l’empowerment des femmes.

« J’ai eu l’idée de lancer un fonds actions axé sur la diversité après avoir constaté un manque de diversité dans les entreprises dans lesquelles j’investissais, alors que de nombreuses études montraient un lien entre la diversité et la performance économique d’une entreprise. Après plusieurs discussions, le bon moment est finalement arrivé et j’ai pu concrétiser cette idée », partage-t-elle. Lancé il y a presque cinq ans, le Mirova Women Leaders and Diversity Equity Fund investit principalement dans des actions mondiales d’entreprises qui favorisent la diversité en leur sein, notamment celles qui ont une représentation significative de femmes dans leur comité exécutif ou qui maintiennent un équilibre hommes-femmes dans leurs effectifs. Si le parcours de Soliane Varlet coche toutes les cases du profil inspirant, la gérante n’en reste pas moins réaliste : « C’est vrai que je n’ai pas réellement eu cette expérience de gérante, seule, au milieu d’hommes. Toutefois, je suis bien consciente des problématiques qui existent encore dans l’industrie. »
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Corriger le tir
Rien de nouveau sous le soleil, l’industrie reste à la traîne en matière de diversité. Une absence de progrès qui persiste en dépit d'études démontrant que les gérantes de portefeuille ne sont pas moins performantes que leurs homologues masculins. Au contraire, elles produisent dans certains cas de meilleurs rendements.
« Pendant longtemps, les promotions ont été très masculines. Jusqu’au jour où certains de nos partenaires gérants d’actifs nous ont fait comprendre que pour féminiser leurs recrutements, il fallait de notre côté former plus d’étudiantes », partage Elyès Jouini sur le parcours en alternance Gestion d’actifs de l’Université de Paris Dauphine-PSL, premier en son genre à s’être spécialisé en gestion d’actifs lors de sa création en 2000. Economiste et mathématicien franco-tunisien, Elyès Jouini dirige le master pendant une vingtaine d’années. Il est aujourd’hui directeur de l’Institut universitaire de France et professeur d'économie à l’Université de Paris Dauphine-PSL, où il est responsable de la chaire Unesco « Femmes et Sciences ». En complémentarité avec ses intérêts de recherche sur l’économie financière, cet ancien de l’ENS a travaillé sur les questions liées à la prise de décision individuelle et collective et aux interactions entre les décideurs, en particulier par le biais des mécanismes de marché.
« Je me suis intéressé à certains biais de sur-confiance et sous-confiance, liés à une distorsion des croyances, ainsi qu'à l’impact des stéréotypes de genre sur le processus décisionnel. Etudier le lien entre ces deux aspects, la question de genre dans la prise de décision d’une part, puis ses implications dans la gestion d’actifs, a naturellement suscité mon intérêt », explique Elyès Jouini
Au cours de sa carrière, ce mathématicien a contribué à la production de nombreuses recherches scientifiques sur ce sujet, en examinant la manière dont les biais comportementaux influencent les choix économiques et les inégalités sociales, notamment en matière d'éducation et de participation aux secteurs liés aux mathématiques.
« Il y a une espèce d’exclusion qui arrive par le biais des études. Les filles sont évincées très tôt des parcours purement scientifiques. Des stéréotypes identifient les femmes comme ayant plus d’aversion aux risques et étant moins confiantes, donc moins aptes à exercer sur les métiers de l’investissement. En l’absence d’intervention extérieure, ces stéréotypes ont tendance à devenir autoréalisateurs », alerte l’expert.
Travail d'équipe
Pour améliorer la parité au sein du parcours Gestion d’actifs, un plan d’action se met ainsi en place. Les critères de sélection en lien avec la motivation des candidats évoluent pour laisser place à une appréciation plus fine plutôt que de mesurer la motivation exclusivement à l’aune des stages déjà réalisés en gestion d’actifs.
« On s’est aperçu que les garçons étaient plus nombreux à avoir des multiples expériences en gestion d’actifs, quand les filles sont plus ouvertes en matière d’options futures. En discutant plus longuement à l’oral avec les candidats, on s’est aperçu que l’on pouvait recruter des filles tout aussi motivées qu’eux », observe-t-il. En parallèle, une campagne de communication axée sur les role models est lancée pour mettre en avant plus de profils féminins lors des conférences et des événements organisés par le master. « Dix ans plus tard, nos promotions sont devenues quasiment paritaires », se félicite Elyès Jouini.
Le parcours compte aujourd’hui la plupart des grands acteurs de la gestion d’actifs en France, parmi lesquels Candriam, Natixis et Allianz Global Investors. « Nous souhaitons augmenter la présence des femmes dans notre vivier de talents, à tous les postes, c’est encore plus crucial pour les postes de gestion. Puis, à défaut de trouver de jeunes gérantes sur le marché, on incube », assure Frédéric Clément, directeur global des ressources humaines d’Axa IM.
A l’heure actuelle, environ 20 % des gérants de portefeuille de l’entreprise sont des femmes. « On essaie de recruter de jeunes diplômées que nous formons en interne. C’est pour cela que l’on souhaite être plus présents sur les campus », ajoute-t-il.
Partenaire du master Gestion d’actifs de Dauphine, Axa IM fait aussi partie du comité de surveillance du master Finance que propose l’Essec. La société a accueilli plus de 350 stagiaires au sein des 19 pays dans lesquels elle est implantée. Prochain challenge, convertir ces immersions professionnelles en recrutements. Et participer, par la même occasion, à constituer la future génération de femmes gérantes de portefeuille.
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