(Tribune de Francis Jaisson, directeur Gestion Actions Europe, Multigestion et Commercialisation de Covéa Finance (achevée de rédiger le 17/10/2017))Les derniers chiffres de collecte du marché des ETF font apparaître une croissance toujours forte de la demande pour les supports indiciels cotés. Ce sont 395 milliards de dollars souscrits cette année qui portent l’encours de ces « trackers » à 4.195 milliards de dollars. Au-delà de l’engouement pour cette gestion passive, il faut souligner deux éléments : la très vigoureuse montée en puissance des achats sur les produits de taux d’intérêt et la concomitance des sorties sur les OPC de gestion active. En effet, si les ETF obligataires ne représentent que 17,4% de l’encours, ils ont pourtant collecté cette année 105 milliards de dollars, soit 26,6% des achats totaux sur ETF. Ces achats d’ETF sont à considérer à la lumière de la décollecte sur la gestion traditionnelle. Sur les 10 dernières années, 416 milliards de dollars sont sortis de l’encours des OPC américains de gestions actions actives contre 669 milliards de dollars déversés sur les ETF de cette même catégorie. Ainsi, nous assistons à un grand remplacement des encours malgré la persistance des risques de contreparties sur les swaps et prêts de titres et sur les mécanismes de règlement-livraison.Certes, les promoteurs d’ETF ont beau jeu de mettre en avant le manque de constance des performances en années calendaires, la volatilité et le coût des gestions actives au regard des mesures statistiques des indices. On peut toutefois s’interroger sur l’acte de gestion qui consiste à investir sur des indices actions et taux dont la composition est une fonction croissante de sa cherté et son endettement. En effet, plus le cours de bourse monte, plus sa capitalisation augmente son poids dans le fonds indiciel action et, plus la dette d’une entreprise croît, plus elle est représentée dans le fonds indiciel obligataire.S’il est vrai que la décision d’allocation d’actif prime souvent sur le choix de valeur dans la contribution de performance, on peut toutefois s’inquiéter des effets systémiques que représente la concentration des flux. Ils se portent aveuglément sur telles ou telles valeurs mobilières ou créances, présentes dans les indices au regard du poids de leurs valeurs boursières ou de la taille de leurs émissions de dettes. Derniers utilisateurs annoncés de ces ETF, les fonds de private equity qui battent des records de levées de fonds et sont en manque de cibles non cotées. Ce trop-plein de capital est de plus en plus consommé sur les fonds d’indices en attente de meilleures opportunités.Cette concentration des flux pose aussi la question du financement de l’économie et de l’avenir de la cote boursière. Que deviennent les milliers d’entreprises venues sur les marchés pour y rencontrer des actionnaires si l’épargne financière se dirige essentiellement sur les composants des indices internationaux ? Les recompositions d’indices sont à ce titre symptomatique de cette situation : les gagnants prennent tout ! Une décision d’exclusion de l’indice signifie pour l’entreprise cotée la perte annoncée de nombreux « actionnaires » que seul l’ajustement boursier permet de compenser par la rencontre de gérants actifs. Il ne s’agit donc plus de comparer la performance de telle gestion de conviction de long terme au résultat de la trajectoire d’un indice, mais de savoir qui investit dans le capital ou la dette de nos entreprises. Car, ce sont bien les fabricants d’indices qui décident finalement où s’allouent les capitaux. Que l’on estime que la Chine remplisse les critères pour rentrer dans les indices actions et obligataires, et les capitaux « flottants » se retrouveront mécaniquement investis sur les valeurs et dettes chinoises.A l’heure où les investisseurs s’efforcent de contribuer à la limitation du gaz carbonique par leurs investissements responsables et leur dialogue actionnarial, on peut aussi questionner le choix des grands indices comme vecteur de décarbonation. Enfin, se pose la question de la transformation silencieuse de la relation entre l’investisseur et l’entreprise à travers ses droits non pécuniaires. Au moment où le dialogue actionnarial est supposé se renforcer, qu’en est-il de l’exercice des droits de vote des ETF par leurs promoteurs dont la concentration s’accélère ? Car, à l’ancien pouvoir d’un institutionnel sur la stratégie d’une entreprise cotée dont il est propriétaire, s’est substituée la détention d’une part de fonds géré par une société de gestion de portefeuille (SGP), souvent anglo-saxonne, elle-même détentrice aveuglément de plusieurs sociétés concurrentes du même secteur de l’indice. Mais, on imagine difficilement un promoteur de fonds exacerber cette concurrence sectorielle jusqu’à faire disparaître d’un oligopole l’un de ses actifs le plus faible au profit d’un autre de son portefeuille indiciel.Les ETF ont rencontré auprès des investisseurs un succès considérable. Les explications sont nombreuses : simplicité d’usage, immédiateté du prix même si leur liquidité réelle n’a jamais été éprouvée dans un marché baissier (on se souviendra du parallélisme de leur essor et des politiques monétaires extraordinaires des banques centrales), apparente transparence, coût et accessibilité. Qualités que l’on retrouve chez les nouveaux gagnants de la chaîne de valeur de nombreux secteurs économiques.Nous vivons actuellement un bouleversement majeur dans les modes de distribution et la finance n’échappe pas à ces changements de comportement. On peut ainsi imaginer que le développement des robots et automates de conseil contribue encore davantage à la vente de produits standards, supports d’investissement des grilles de recommandations d’allocation. Mais encore une fois, au-delà du risque systémique inhérent à l’essor de ces produits trop largement diffusés et des risques de liquidité et de règlement-livraison (les actifs sous-jacents font l’objet de transferts de propriété), cette captation continue de l’épargne pourrait tarir à terme l’un des modes de développement des entreprises.