La ville de Marrakech aurait pu être précurseur en matière de système de paiement alternatif. Un marchand, ayant le monopole de la vente de tapis, aurait commencé à payer ses employés en tapis plutôt qu’en dirhams - la devise locale - et ses employés auraient commencé à régler leurs transactions en tapis, introduisant de fait une économie parallèle autour du tapis. Avec un unique teneur de livres, le marchand, et ni impôt à régler sur les transactions ni régulation pour les encadrer. L’histoire, narrée par le professeur à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne Rachid Guerraoui, a permis d’illustrer les enjeux et défis posés par les crypto-actifs lors de la conférence annuelle de l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV). L’événement, qui s’est tenu jeudi 20 octobre à Marrakech, a mis le sujet sur le devant de la scène à l’occasion d’un panel dédié. Dans sa fable marocaine, Rachid Guerraoui l’assure, le présumé inventeur du bitcoin, Satoshi Nakamoto, n’aurait pas été satisfait du monopole du marchand de tapis et aurait proposé une solution décentralisée basée sur la blockchain. «Au lieu de centraliser toutes les transactions au niveau d’une seule et même personne, toutes les 10 minutes, un nouveau chef serait élu pour écrire dans le cahier des transactions. La sélection se ferait à travers la résolution d’un Sudoku et celui qui réussit, gagne un tapis. Aujourd’hui, celui qui résout un Sudoku gagne des bitcoins. Or, les Sudokus sont de plus en plus grands à résoudre et nécessitent l’utilisation de plusieurs machines et de plus en plus de personnes. Il y a aussi des individus qui vont acheter plus d’ordinateurs pour augmenter leurs chances de gagner des bitcoins», résume-t-il, alertant sur les dangers du bitcoin liés à la consommation d’énergie. Pour Tuang Lee Lim, responsable de l’unité des marchés de capitaux de l’Autorité monétaire de Singapour (AMS), il faut nécessairement distinguer la technologie et son application aux cryptos. «Les crypto-actifs, qui sont spéculatifs et frauduleux, ne sont qu’une manifestation de la technologie mais la technologie, elle, est puissante. Elle peut s’appliquer entre autres aux paiements transfrontaliers et à la digitalisation de l’économie réelle (tokenisation). L’éco-système a besoin d’une mesure d’échange que les cryptos ne peuvent incarner car trop volatils. Mais les stablecoins en ont le potentiel», juge Tuang Lee Lim, également président du groupe de travail sur la fintech à l’OICV. La tech, compétence manquante Anat Guetta, présidente du régulateur israélien Israel Securities Authority, observe que la demande de clarté de l’industrie financière autour de la régulation des cryptos est « liée à l’étroite relation entre la réglementation et la légitimité de faire du business».D’après elle, sans clarté réglementaire, pas de légitimité possible pour les cryptos et donc impossible pour le marché des cryptos de se développer. «Les cryptos ne représentent que 1% des marchés des instruments financiers cotés en termes de taille. Cela reste un petit marché. D’un point de vue du risque, il n’y a pas de motif clair nous incitant à ouvrir ce marché davantage et à le laisser se développer», commente Anat Guetta, pour qui il faut d’abord établir les meilleures pratiques et introduire davantage de transparence dans le marché des cryptos. La présidente du régulateur israélien pointe aussi le manque de connaissances des gendarmes financiers vis-à-vis des cryptos et de la technologie qui les sous-tend. «Dans 10 ans, les régulateurs des marchés financiers devraient ressembler à des sociétés technologiques, être en mesure de comprendre les codes informatiques en détail. On ne pourra pas établir les meilleures pratiques si on ne comprend pas les détails. Les entrepreneurs des cryptos sont des gens de la tech. Nous devons comprendre la façon dont ils conçoivent leurs codes pour définir si ceux-ci peuvent porter préjudice ou non aux consommateurs. Sans cela, nous n’avons pas suffisamment de bons outils pour réguler le secteur», commente-t-elle. En outre, Anat Guetta pointe le fait qu’un mandat très clair doit être donné aux régulateurs pour superviser et agir sur le marché des cryptos. Or, le débat sur le fait que la crypto soit un instrument financier coté ou non n’a pas été tranché pour le moment. Hors cryptos, les promesses d’avantages de la finance digitale sont multiples. «Des coûts de transactions moins élevés, la démocratisation de l’accès aux produits financiers, la facilitation d’envoi d’argent à l’étranger», liste Ophelia Synder, présidente et cofondatrice de 21Shares et Amun Tokens. Mais pour elle, l’aboutissement de ces promesses passera d’abord par de la régulation et de la clarté.