La prochaine régulation des crypto-actifs en Europe contribuera à leur essor tant auprès des particuliers que des institutionnels dans la région. Marco Cora, ex-responsable blockchain de la société de gestion italienne Azimut, en est convaincu, tout comme Dave Sparvell et Jean-Baptiste Graftieaux, respectivement directeurs généraux de Swissquote Bank Europe et de la plateforme d’échanges de crypto-actifs Bistamp. Les trois spécialistes ont exposé leurs vues sur la situation actuelle et à venir des actifs digitaux en marge de la conférence sur la gestion d’actifs européenne organisée par l’association luxembourgeoise des fonds d’investissement (Alfi) la semaine dernière. Chez Swissquote, 2021 a été une année «record» en matière de fourniture de crypto-actifs, en particulier aux investisseurs particuliers selon Dave Sparvell, le représentant européen du groupe financier helvétique. Le récent vote de la première mouture du futur règlement européen sur les crypto-actifs MiCA par la Commission des affaires économiques et monétaires (Econ) du Parlement européen montre que l’industrie commence à prendre forme sur le continent, juge-t-il. Il estime cependant qu’il faudra davantage de stabilité avant que des conseillers en investissement proposent à leurs clients d’investir dans des crypto-actifs. Les sujets sensibles ne manquent pas autour des crypto-actifs comme ceux du blanchiment d’argent, des arnaques ou encore de la consommation d’énergie pour leur minage. «Nous voyons un intérêt vif de nos clients pour les protocoles d’échanges Ethereum, Cardano ou Solana qui travaillent sur la rapidité et l’efficience des transactions et qui seront les Microsoft et Windows du futur», indique Dave Sparvell. Swissquote a pour ambition d’étendre ses activités de courtage et de dépositaire de crypto-actifs au secteur des conseillers financiers et des gestionnaires d’actifs. Dave Sparvell met en garde toutefois sur une différence fondamentale avec les marchés traditionnels. Les actifs digitaux sont un marché ouvert en permanence, ce qui fait que les investisseurs en crypto-actifs peuvent entrer ou sortir à tout moment quand des événements surviennent et peut impacter en conséquence des produits indiciels par exemple focalisés sur les cryptos. La plateforme d’échange de crypto-actifs Bitstamp connaît, elle, un volume quotidien d’un milliard de transactions selon son directeur général Jean-Baptiste Graftieaux, qui recense 5 millions de clients particuliers et 5.000 institutionnels. L’opérateur comptabilise quelque 55.000 actifs digitaux pouvant être négociés sur sa plateforme. Le CEO de Bitstamp évoque «une phase de transition» lorsqu’il observe le paysage réglementaire des cryptos en Europe, en particulier vis-à-vis du régime des fournisseurs de services d’actifs digitaux (virtual assets service provider ou VASP) mis en œuvre par le Luxembourg. «Il y a six-sept ans, aucune réglementation n’existait dans les cryptos. Aujourd’hui, ce régime des VASP existe mais il est fragmenté et complexe. Vous devez vous enregistrer comme VASP dans chaque pays européen pour distribuer vos produits et services. MiCA aura un rôle important à jouer pour harmoniser cela. Ce paquet de règles et de contrôles renforcera la stabilité du marché et permettra de construire de la confiance autour des cryptos», dit Jean-Baptiste Graftieaux. Dette «tokenisée» Avant de devenir directeur du développement de Matter Labs - une société d’ingénierie européenne sur le protocole informatique d'échanges décentralisés éthereum – Marco Cora a travaillé sur la blockchain chez Azimut. Cette technologie de stockage et de transmission d’informations, qui forme le liant de l’univers des crypto-actifs, s’apparente à une base de données et est partagée simultanément avec tous ses utilisateurs. Aussi ne dépend-elle d’aucun organe central. «Azimut a planché sur la blockchain en tant que classe d’actifs, en tant que logique de business qui pourrait en substituer d’autres (souscriptions et rachats de parts de fonds par exemple, ndlr) et sous le prisme de la digitalisation des actifs (tokenisation). Nous avons «tokenisé» des prêts pour des petites et moyennes entreprises non cotées. Les asset-backed securities (ABS) sont habituellement chers à établir, à maintenir et à transférer d’un portefeuille à l’autre. Or, une tokenisation peut permettre une réduction une réduction significative des coûts de transaction mais aussi pour l’émetteur», observe Marco Cora. Lors de la tokenisation des ABS, dit-il, la technologie n’a pas été l’aspect le plus complexe à maîtriser mais celui de la conformité à la réglementation, particulièrement du point de vue de la fiscalité et de la distribution de ces actifs. La digitalisation de la dette privée peut avoir un impact sur la liquidité de la classe d’actifs puisqu’en permettant de réduire le niveau de coûts et de risque des opérations, elle peut inciter le régulateur à lever les barrières d’investissement sur cette classe d’actifs, traditionnellement circonscrite aux investisseurs chevronnés, pour certaines catégories telles que les investisseurs particuliers, suggère Marco Cora. Même si la dette privée ne sera jamais aussi liquide que les actions, nuance-t-il.