Aux Etats-Unis, des grandes sociétés de gestion traditionnelles à l’instar de BlackRocket plusieurs hedge funds ont commencé à ouvrir certains de leurs fonds mutuels aux crypto-actifs cette année. En Europe, l’approche des gestionnaires d’actifs et des investisseurs institutionnels, autant dubitatifs qu’intéressés par cette tendance venue d’abord du retail, reste bien plus prudente et les barrières multiples. A l’occasion de l’AM Tech Day, mardi 5 septembre, Olivier Taille, vice-président de la commission Innovations Technologiques à l’Association française de la gestion financière (AFG), est revenu sur les problématiques de réglementation et de conservation de titres qui se posent pour les gestionnaires d’actifs européens en matière d’investissements dans les crypto-actifs. «Il faut distinguer le projet de règlement MiCA – la future directive européenne sur les marchés de crypto-actifs – du régime-pilote pour les infrastructures de marché qui doit servir à acclimater le monde des instruments financiers à la technologie blockchain», souligne Olivier Taille. Pas d’exercice test pour les gestionnaires d’actifs Sur le régime-pilote, dit-il, la problématique principale concerne la notion de dépositaire central pour les gestionnaires d’actifs. « Ce qui faisait foi traditionnellement en matière de propriété était l’inscription du titre que vous déteniez sur le compte titres d’une banque. Nous avions des tiers de confiance. Dans le cadre de la blockchain, le token (l’actif digitalisé, ndlr) n’est pas sur un compte titres mais sur la blockchain. Peut-on retrouver la fonctionnalité des tiers de confiance dans la blockchain? Le besoin qu’ils remplissaient subsiste», poursuit Olivier Taille, qui entrevoit aussi une problématique sur le trading des actifs digitalisés. Les prix seront-ils différents entre un actif traditionnel (action classique d’une valeur cotée en bourse) et un actif digitalisé (token action de cette même valeur)? Celui qui est aussi responsable des projets blockchain chez Ostrum Asset Management déplore le manque dans le régime-pilote des infrastructures de marché d’éléments permettant de définir les conditions dans lesquelles les sociétés de gestion européennes pourraient mettre des tokens ou des cryptomonnaies dans de la gestion sous mandat, dans un fonds Ucits ou alternatif. Les exercices de test sont pour l’instant limités aux établissements ayant des activités de dépositaire central ou de fonds indiciels cotés (ETF) intégrant la blockchain. Concernant la future directive MiCA, Olivier Taille soulève la question des règles d’émission des cryptomonnaies et des tokens qui ne sont pas des instruments financiers. Pour lui, les interrogations des gestionnaires d’actifs sont nombreuses: Pourront-ils intervenir sur le marché des cryptos avec leurs agréments actuels? Comment en mettre dans des fonds Ucits de façon sécurisée? Vers qui se tourner si un problème de dépositaire ou de valorisation émerge? Que faire face à la variété de technologies utilisées pour émettre des tokensactions ou obligataires? De la liquidité des tokens «Les règles pour les gestionnaires d’actifs vont devoir rapidement être fixées pour la valorisation, la profondeur du marché, la distribution», concède Jean-Charles Dudek, co-fondateur et managing director de la société de gestion Napoléon AM, qui a lancé en 2019 le premier fonds agréé en France répliquant la performance du bitcoin via des futures. Selon lui, il faut répondre aux besoins des sociétés de gestion sur le sujet en le faisant «dans un schéma sécurisé en termes de produit et de contrôle». Thierry Brevet, manager général et directeur des investissements de TheWest of EnglandMutual Insurance Association à Luxembourg, pointe une autre problématique côté investisseurs institutionnels. «Le fait que les cryptos soient détenus majoritairement par des particuliers est un risque majeur quand on connaît le comportement versatile des particuliers, influencés par les réseaux sociaux,qui ont tendance à acheter au plus haut et vendre au plus bas. Si la tokenisation de certains actifs liquides aboutissait, il faudrait veiller à ce que le marché ne soit pas animé par des particuliers qui croiraient soudainement que l’actif est devenu liquide car tokenisé car cela comporterait un risque de déstabilisation important des sous-jacents», soutient le président du groupe de travail sur les monnaies digitales à l’Association française des investisseurs institutionnels (Af2i). Pietro Grassano, responsable du développement en Europe de la plateforme de transactions de crypto-monnaies Algorand, rétorque qu’on peut tokeniser en mettant en place des règles de liquidité. Selon lui, il y a de la place pour des services de tiers de confiance liés à la blockchain, dont il soutient d’ailleurs qu’elle permet de réduire le risque systémique. «Il faut accompagner cette évolution sans a priori. La filiale de Société Générale, Forge, a montré récemment qu’on peut réaliser des émissions obligataires digitales d’une certaine taille en intégrant des éléments de sécurité», conclut-il.