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Un défi gigantesque à relever

Les stratégies d’investissement créées pour le relever peuvent prendre des formes très différentes.
« L’approche low carbon a été la première mise en place quand nous avons commencé à réfléchir au climat par exemple chez Amundi, dès 2014 , relate Caroline Le Meaux, responsable de la recherche ESG, de l’engagement actionnarial et de la politique de vote chez Amundi. Les stratégies se sont ensuite sophistiquées et sont apparus des produits autour de la notion ‘net zéro’. »
Mais il existe aussi des supports thématiques, des fonds indiciels reposant sur les indices climatiques européens Climate Transition Benchmark (CTB) et Paris-Aligned Benchmark (PAB) ou encore des véhicules de green bonds qui financent des projets verts, etc. « Le climat est un risque pour l’ensemble des émetteurs et des portefeuilles qu’il faut considérer et nous accompagnons la transition des émetteurs dans lesquels nous sommes investis quel que soit le produit », revendique Caroline Le Meaux.
Le degré d’exigence pourra en revanche varier d’une approche à l’autre. « Toutes les stratégies n’ont pas les mêmes ambitions car nous portons certains engagements pour le compte de nos clients et, dans ce cas, nous sommes dans l’exécution de leur propre stratégie climatique, indique Joséphine Chevallier, responsable de l’intégration ESG chez Ostrum Asset Management. Pour nos fonds ouverts, nous proposons notre vision, au travers de produits thématiques mais pas uniquement. Les approches se sont beaucoup complexifiées dans le temps. Par exemple, nous avons lancé il y a peu un fonds d’obligations à impact (Ostrum Climate and Social Impact Bond) dont le thème est la transition juste, qui a la particularité d’intégrer des indicateurs sociaux et sociétaux pour prendre en compte les différentes facettes de la transition. »
Au-delà des produits et des stratégies d’investissement, les sociétés de gestion donnent le ton en développant des politiques d’investissement, qui abordent les enjeux majeurs liés au climat. « Nos politiques d’investissement fournissent un cadre global à notre approche, estime Joséphine Chevallier. Nous avons des politiques sectorielles de plus en plus ambitieuses, que nous avons considérablement renforcées. Ainsi, nous avons adopté une politique de sortie du charbon et une autre de sortie du pétrole et du gaz non conventionnel, qui aborde aussi la question du conventionnel et qui est évolutive dans le temps. »
Une information plus riche et accessible
De manière générale, la façon dont les sociétés de gestion prennent en compte la question du climat a beaucoup évolué au fil du temps, se raffinant au cours des années. « Tout d’abord, nous avons acquis une meilleure connaissance du sujet, souligne Caroline Le Meaux. Les cadres de référence nous ont aidés : la TCFD (Task Force on Climate-Related Financial Disclosures) et le Benchmark Climate Action 100+, par exemple, ont été porteurs de savoirs. Et nous nous sommes nous-mêmes aguerris en échangeant avec les entreprises. »
Autre avancée ayant permis l’amélioration des approches : la disponibilité des données. « Nous sommes partis de loin avec relativement peu d’informations il y a quelques années, se remémore Joséphine Chevallier. Aujourd’hui, il existe des référentiels dans le marché et la réglementation est intervenue pour nous imposer, à nous investisseurs, plus d’exigences. De fait, cela devient crucial pour les entreprises désireuses d’obtenir des financements réguliers de mieux communiquer sur leur stratégie en publiant des indicateurs extra-financiers, et en particulier sur les ambitions et indicateurs climatiques. »


La tendance devrait se poursuivre avec notamment l’entrée en vigueur de la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). « Tout cela va dans le bon sens mais il reste des points à améliorer, notamment sur la granularité des remontées d’information, le choix des points de référence et les techniques de mesure, relève Joséphine Chevallier. En effet, les scénarios climatiques utilisés par les entreprises ne sont pas toujours les scénarios climatiques net zero de référence du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). La façon de formaliser les objectifs n’est pas toujours idéale non plus. Par exemple, en tant qu’investisseurs, nous aimerions qu’ils soient alignés sur l’Accord de Paris et formalisés sur des objectifs de baisse d’émissions en absolu, et non seulement en intensité. Enfin, il serait souhaitable que les entreprises reportent sur tous leurs périmètres et que l’usage de la compensation ou de techniques encore peu matures de capture soit limité à une part résiduelle de leurs objectifs de décarbonation. »
Quelles que soient les améliorations encore nécessaires, le virage semble être pris par la plupart des entreprises. « Celles qui pensent qu’elles pourront passer outre représentent désormais une minorité, assure Caroline Le Meaux. Il faut toutefois avoir à l’esprit que nous parlons d’un véritable changement de business model pour beaucoup d’entreprises. Il s’agit pour elles de réinventer la façon dont elles font leur métier. Cela ne se fera pas du jour au lendemain car elles doivent s’adapter tout en restant profitables parce qu’elles ont des employés et qu’il faut réussir à préserver le tissu social. » La matérialisation de plus en plus forte des risques climatiques a contribué à cette prise de conscience. « Ne pas prendre en compte le risque climatique ou le faire de façon insuffisante relève aujourd’hui d’une faille dans la stratégie, d’un grave défaut d’anticipation, surtout dans les groupes à forts enjeux climatiques, tels qu’ils ont été définis par la taxonomie européenne », souligne Joséphine Chevallier.
Des gagnants et des perdants dans chaque secteur
Les sociétés de gestion ont un rôle crucial à jouer pour anticiper le risque de dépréciation des actifs de leurs clients mais aussi pour identifier les futurs gagnants de la transition. « Pour identifier les opportunités, il ne faut pas forcément réfléchir par secteur mais plutôt par stratégie, poursuit Joséphine Chevallier. Ainsi, dans le secteur industriel diversified manufacturing, il existe des positionnements d’acteurs très différents. Certains d’entre eux ont réalisé une transition notable vers des modèles d’affaires qui promeuvent l’efficacité énergétique. » Un constat partagé par Caroline Le Meaux : « Dans tous les secteurs, y compris les plus complexes, certaines entreprises arrivent à prendre le tournant, constate-t-elle. Il y a celles qui vont apporter les solutions mais il existe aussi tout un pan de l’économie qui ne produira pas de solutions mais les biens et services dont nous avons besoin, et qui le fait de façon plus durable et en intégrant les enjeux climatiques. » La vitesse d’exécution de ces acteurs ne dépend d’ailleurs pas de leur seule bonne volonté. « Les entreprises évoluent dans un système et c’est l’ensemble de ce système qui doit bouger, souligne Caroline Le Meaux. Les entreprises ne peuvent avancer que si les investisseurs suivent mais également les Etats et les clients finaux, c’est-à-dire les individus au bout de la chaîne. »
Une autre problématique pour les sociétés de gestion consiste à rendre des comptes aux investisseurs. « Pour cela, il faut avoir les bons indicateurs climatiques, pointe Joséphine Chevallier. Or il existe encore une grande hétérogénéité d’appréhension du sujet dans le marché qui est liée à la diversité de cheminement des entreprises. » La normalisation d’un certain nombre d’indicateurs est l’une des ambitions de CSRD, qui entre progressivement en vigueur. « On voit cette directive comme une opportunité car, actuellement, pour un certain nombres d’indicateurs, nous sommes contraints d’utiliser des proxys fournis par des data providers, qui sont estimés sur la base de logiques très différentes, donc qui nuisent à la granularité et à la comparabilité des données », indique Joséphine Chevallier. Il s’agit cependant d’une réglementation européenne, à la portée limitée.
« Nous avons des expositions mondiales dans nos portefeuilles, donc nous aurons davantage d’informations sur une partie des entreprises mais pas pour toutes, prévient Caroline Le Meaux. De ce point de vue, ce n’est pas tout à fait un ‘game changer’. » Quant à traduire tous ces éléments dans une métrique unique, de type indicateur de température, cela soulève de nombreuses questions. « Il n’existe pas un indicateur permettant de résumer ce que fait une entreprise en matière de climat, observe Caroline Le Meaux. Nous essayons d’utiliser plusieurs indicateurs pour refléter la réalité car chacun d’entre eux va nous donner un angle différent qui va exprimer ce que fait l’entreprise ou ce qu’elle ne fait pas. »
La difficulté consiste aussi à conserver, au-delà des différentes données quantitatives, une approche qualitative, selon Joséphine Chevallier. « D’où l’intérêt d’avoir une équipe de recherche capable de comprendre cette complexité, estime-t-elle. Au sein de la gestion et des équipes de recherche, nous avons une forte montée en compétence de cette capacité à analyser et à contextualiser les enjeux de transition pour chaque émetteur et chaque secteur. C’est quelque chose que l’on va continuer à cultiver pour ne pas être prisonniers d’une vision statique et quantitative qui est nécessaire mais pas suffisante. »


De nouveaux instruments restent à inventer
Le chemin est encore long et les défis, nombreux. « La transition est nécessairement plurielle et doit inclure une transition sociale et sociétale, met en évidence Joséphine Chevallier. Elle doit aussi prendre en compte la biodiversité, qui est à la fois un élément clé du climat mais également un enjeu à part entière. Les deux sujets sont intimement liés : si l’on renforce la biodiversité, on renforce la capacité des océans et des forêts à capturer et recycler le CO2. A contrario, la lutte contre le changement climatique peut entraîner la mise en œuvre de solutions qui ne sont pas forcément les bonnes pour la biodiversité. » Pour les adresser, des financements colossaux sont nécessaires, de l’ordre de 1.500 milliards d’euros par an à partir de 2031 pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Ce qui nécessite pour les sociétés de gestion de poursuivre leurs efforts mais aussi de convaincre les investisseurs et les conseillers financiers qui sont les intermédiaires. « Cela fait partie de nos missions d’accompagner les distributeurs et notamment les orienter sur les produits, rapporte Joséphine Chevallier. Car aujourd’hui, même après MIF 2, cela reste compliqué pour eux de maîtriser toutes les notions de finance durable. »
Autre piste de progrès : travailler sur des supports dédiés au financement de la transition énergétique. « L’innovation financière doit rester dynamique, considère Caroline Le Meaux. Les green bonds fonctionnent déjà bien mais il y a encore des instruments à inventer sur le financement de la transition et notamment pour accélérer celle-ci dans les pays émergents. »
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