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L’engagement, un travail indispensable aux stratégies de transition

Pour accompagner les entreprises vers des pratiques moins émissives, les sociétés de gestion musclent leurs dispositifs en matière d’engagement.
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.  -  Anna Fotyma

« L’engagement, c’est beaucoup de travail, beaucoup d’efforts et cela prend du temps ! Mais c’est de mon point de vue l’une des meilleures façons d’avoir un impact », déclare Caroline Le Meaux. Historiquement circonscrit au vote et donc aux sociétés de gestion spécialisées dans les actions, ce dialogue avec les entreprises connaît depuis quelques années une véritable révolution. « Les sociétés de fixed income sont entrées dans la bataille car elles se sont rendu compte qu’elles pouvaient avoir une influence sur les émetteurs par le levier du financement », analyse Joséphine Chevallier.

C’est toutefois une activité très chronophage : il faut analyser la situation des entreprises, identifier les points d’amélioration, échanger avec elles et formaliser les attentes. « Il faut différencier différents niveaux d’engagement, précise Joséphine Chevallier. Nous pouvons toucher de nombreuses entreprises en participant à certaines actions collectives comme la non-disclosure campaign du CDP. Il existe aussi les engagements collaboratifs avec nos pairs, au sein d’initiatives de place comme Climate Action 100. Et puis, il y a les engagements portés par la société de gestion elle-même. Et là, la question des ressources est clé parce que nous ne pouvons matériellement pas engager avec le même niveau d’exigence sur les milliers d’entreprises dans lesquelles nous investissons. Ce n’est d’ailleurs pas l’objectif : nous devons diriger plus particulièrement nos efforts vers les entreprises ayant une problématique spécifique, soit du fait de leur appartenance à un secteur à fort enjeu, soit parce qu’elles ont des caractéristiques propres qui méritent notre attention, car c’est ainsi que nous aurons le plus d’impact. »

Face à cette problématique des ressources, Amundi a d’ailleurs fait le choix de former ses équipes pour multiplier ses moyens d’action. « L’engagement c’est une question de taille d’équipe, commente Caroline Le Meaux. Chez Amundi, nous avons une grosse équipe d’analystes ESG et nous avons beaucoup formé les gérants actions et taux ainsi que les analystes financiers, qui nous aident dans nos efforts. Nous avons commencé ce travail il y a près de cinq ans, ce qui nous a permis, en 2023, d’engager avec 2.500 entreprises dont 1.500 sur le climat. »

L’engagement prend aussi beaucoup de temps car il requiert beaucoup d’efforts de la part des émetteurs concernés, surtout au démarrage. « Dans un premier temps, les entreprises ne savent pas forcément comment aborder les sujets sur lesquels nous les sollicitons et cela leur demande de mettre en place de nouveaux process, décrypte Caroline Le Meaux. C’est d’ailleurs pourquoi nous aimons partager avec elles les bonnes pratiques. Une fois qu’elles ont fait ce travail en interne, les améliorations incrémentales sont beaucoup plus faciles à obtenir que la première démarche. » C’est d’ailleurs un défi puisque certains verrous doivent encore sauter. « Par exemple, l’un des enjeux est la connaissance par les entreprises de leur supply chain, indique Caroline Le Meaux. Ce travail d’évaluation est clé et nous aidera sur de multiples dimensions, que ce soit le climat, la biodiversité ou encore les droits humains, etc. »

Le sujet devrait encore gagner en importance dans les prochaines années du fait de la réglementation, qui encadre de plus en plus les obligations des entreprises en matière de transition. « Cela augmente la réceptivité des entreprises, reconnaît Joséphine Chevallier. La directive sur le devoir de vigilance des entreprises, qui était en discussion jusqu’en février au sein des institutions de l’Union européenne, intégrait des objectifs de mise en place de la transition énergétique. Même si le report sine die du texte remet en question sa concrétisation, il est probable que cela incite les entreprises à aller plus vite car elles savent que si elles dérogent à certains principes, elles pourraient dans l’avenir être touchées financièrement par des dispositifs réglementaires contraignants. »

Autres sujets en cours : la refonte de SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), qui devrait mieux intégrer la notion de transition, ainsi que la refonte du label ISR, qui concerne les nouvelles demandes de labellisation à partir de mars. « La nouvelle version intègre des exigences d’analyse des plans de transition, et ce, sur un périmètre renforcé, ce qui n’est pas négligeable car cela représente une bonne partie des émetteurs présents dans les fonds labellisés, explique Joséphine Chevallier. Ces requêtes portent sur un objectif de résultat d’alignement sur des plans de transition alignés avec l’Accord de Paris et elles intègrent aussi des exigences d’engagement. »

Au sein des sociétés de gestion, l’engagement est donc primordial et fait l’objet d’un suivi pour en mesurer les retours. « Chez Amundi, nous avons développé notre propre outil, relate Caroline Le Meaux. Ainsi, pour chaque engagement, nous définissons des objectifs avec des indicateurs clés de succès très granulaires. Cela nous permet de suivre l’évolution de l’entreprise et l’atteinte progressive de nos ambitions. » Même chose chez Ostrum, avec une banque de données renseignée par les équipes chargées des engagements du côté de la recherche et de la gestion actions principalement. « Nous nous fixons des objectifs différents selon le type d’engagement, explique Joséphine Chevallier. Ainsi, nous avons formalisé très précisément les objectifs sur certaines campagnes, par exemple avec notre politique ‘pétrole & gaz’ mais aussi sur la sortie du charbon. Sur ce dernier point, nous avons élaboré un processus d’escalade qui nous conduit régulièrement à exclure des entreprises qui n’ont pas un plan de sortie du charbon suffisamment solide. » Une stratégie d’escalade qui sera amenée à se formaliser de plus en plus.

Focus : Les émergents, un sujet collectif

Les gaz à effet de serre ne connaissant pas de frontières, la neutralité carbone ne pourra être atteinte sans la contribution des pays émergents. Ces derniers ne peuvent toutefois dupliquer les solutions envisagées par les pays développés du fait de leur nécessaire croissance. « Ils ont besoin de beaucoup investir dans les infrastructures pour soutenir leur développement, explique Joséphine Chevallier. C’est à rebours de la façon dont les économies développées se positionnent sur la question de la neutralité carbone avec des plans de réduction des émissions. » Les pays émergents sont toutefois particulièrement sensibilisés à la problématique, certains d’entre eux étant directement menacés par le dérèglement climatique. «  Sur ces régions, le risque physique est très réel et il engendre d’ores et déjà des coûts supplémentaires, ce qui rend le sujet très concret pour les gouvernements et les populations  », souligne Caroline Le Meaux. Fortes de ce constat, les sociétés de gestion doivent trouver un juste compromis pour accompagner ces pays.

« Chez Ostrum, nous considérons qu’il faut adopter une démarche équilibrée entre les différentes contraintes, qui peuvent parfois être contradictoires en ce qui concerne les émergents, rapporte Joséphine Chevallier. La manière dont nous discriminons les bons élèves, c’est essentiellement sur la qualité de leur gouvernance. C’est primordial car un pays avec des institutions relativement stables, soutenues par la société civile et une ambition claire, sera mieux à même de gérer la transition énergétique. » Il est aussi nécessaire d’adopter des approches différenciées car la terminologie « émergents » recouvre des réalités très différentes selon les pays. « Certains pays presque frontières ont peu d’émissions et d’autres, comme la Chine, ont vu leurs émissions exploser depuis les années 2000, souligne Caroline Le Meaux. Donc chaque pays a sa réalité et nous ne pouvons plus regarder le bloc émergent comme un ensemble homogène. »

Nos intervenants :

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