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Investir dans un environnement changeant

Comme anticipé, le 17 octobre dernier, la Banque centrale européenne (BCE) a acté un nouveau recul de ses taux directeurs de 0,25 point, dans un contexte d’inflation maîtrisée. Son taux de facilité de dépôt s’est ainsi établi à 3,25 % après cette baisse, la troisième depuis le mois de juin où ce taux culminait alors à 4 %. De ce côté de l’Atlantique comme aux Etats-Unis, les banquiers centraux ont donc activé le desserrement de leur politique monétaire. « Nous nous attendons à ce que la BCE annonce une prochaine diminution de taux de 25 points de base en décembre et qu’elle poursuive ce mouvement jusqu’à atteindre un taux neutre mi-2025, autour des 2 %, indique Geoffroy Lenoir, codirecteur de la gestion collective chez Ofi Invest Asset Management. Nous faisons le même constat aux Etats-Unis, où nous anticipons des baisses graduelles jusqu’à l’été 2025 sur un rythme assez similaire à celui de la BCE pour atterrir vers les 3,5 %. » Le marché a changé ses anticipations brutalement dans le courant de l’année avec l’évolution des anticipations macroéconomiques. « Au premier semestre, les investisseurs craignaient l’inflation - le marché avait même envisagé une hausse de taux supplémentaire - et, début août, nous avons basculé vers des craintes de récession avec un marché de l’emploi dégradé, rappelle Maya El Khoury, gérante crédit senior chez Ostrum Asset Management. Le marché a été excessif dans les deux sens. Désormais le consensus est plus modéré et il valorise un scénario de soft landing de l’économie. Si le rythme de baisse des taux est encore incertain, le cycle baissier est enclenché et la direction est claire. »
Le rythme de cette décrue dépendra en revanche de la qualité des données observées sur le front de l’emploi et de l’inflation. « Les banques centrales sont très data-dépendantes, donc elles pourront aller plus ou moins vite en fonction des chiffres qui seront publiés », précise Geoffroy Lenoir. En particulier, les statistiques de l’emploi outre-Atlantique vont faire l’objet d’une surveillance accrue. « La dynamique du marché du travail va être source de volatilité, comme nous l’avons observé au mois d’août aux Etats-Unis, souligne Eléonore Bunel, directrice de la gestion obligataire chez Lazard Frères Gestion. Il faut donc rester prudent sur le fait que le marché de l’emploi peut se dégrader davantage qu’anticipé. Dans ce cas de figure, les banques centrales réagiraient très rapidement et nous pourrions alors avoir un taux neutre beaucoup plus bas qu’attendu. A contrario, il existe un scénario qui n’est pas du tout anticipé par les marchés : si nous avions deux ou trois publications de chiffres de l’emploi au même niveau qu’en octobre dernier, avec 200.000 à 250.000 créations mensuelles d’emplois, Jerome Powell serait contraint de faire une pause dans le processus d’assouplissement monétaire. » A cette inconnue viennent s’ajouter les aléas liés aux prix du pétrole, dans un contexte géopolitique tendu, et à la politique du nouveau président américain. « Le risque me paraît assez binaire : sommes-nous en phase de redémarrage de l’économie américaine ou de ralentissement ? Le premier cas de figure pourrait surprendre les investisseurs et le marché, avec un impact assez négatif sur les taux d’intérêt, mais aussi sur les actifs risqués, poursuit Eléonore Bunel. Nous sommes actuellement sur une ligne de crête et nous ne savons pas trop de quel côté nous allons basculer. »
C’est en revanche plus clair du côté de la zone euro, où la dynamique économique est plus faible. « La macro américaine et la macro européenne ne sont pas au même niveau : en Europe, l’environnement est beaucoup plus dégradé et l’on risque de voir une surchauffe des taux européens entraînée par la dynamique américaine alors que l’économie est beaucoup plus faible », craint Maya El Khoury. L’inflation y est également beaucoup plus sous contrôle. « En Europe, la tendance reste orientée à la baisse sur les niveaux d’inflation, notamment dans certains pays comme la France ou l’Italie, estime Geoffroy Lenoir. Par exemple, les chiffres d’inflation pourraient s’approcher de 0,5 % en France l’an prochain sur des données mensuelles. Le risque en Europe serait que la croissance ne redémarre pas en 2025 autant qu’attendu. »

Un portage encore attractif
Dans cet environnement complexe, où les investisseurs doivent surveiller les publications au mois le mois et n’écarter aucun scénario, le marché obligataire offre encore un rendement attractif. « Les stratégies de portage ont encore tout leur sens, assure Maya El Khoury. Avec un horizon de placement d’un an, il faudrait un sacré mouvement de spread (prime de risque, ndlr) et/ou de taux pour perdre le portage, ce qui protège les investisseurs contre une mauvaise nouvelle. » D’ailleurs, la progression des marchés de taux a été très satisfaisante depuis janvier. « Nous avons eu un message très constructif sur ces classes d’actifs cette année, disant qu’il fallait surpondérer le crédit avec une préférence pour le spéculatif à haut rendement (ou high yield), rapporte Geoffroy Lenoir. Ce marché s’est montré très solide avec beaucoup d’émissions primaires qui se sont bien passées. Les émetteurs se sont refinancés assez facilement, ce qui leur a permis de retrouver de la marge de manœuvre. » A court terme, le potentiel paraît en revanche plus limité, selon cet acteur. « Nous faisons preuve de davantage de prudence désormais car nous avons réalisé une belle performance sur les dix premiers mois de l’année, commente Geoffroy Lenoir. Nous pensons que le marché obligataire a fait ce qu’on attendait de lui sur l’année : le crédit investment grade a progressé d’environ 4 % et le spéculatif à haut rendement autour de 7 %. Dans une vision d’allocation, nous passons sur un message plus neutre. Sur la classe d’actifs, nous préférons adopter une position d’attente sur le monétaire, qui reste intéressant avec des taux de la BCE à 3,25 % même si ces derniers devraient baisser rapidement. Autre option qui nous semble pertinente : miser sur du crédit spéculatif à haut rendement non benchmarké, sur lequel nous pouvons mettre en place des stratégies de couverture et être plus réactifs sur la duration car nous ne sommes pas contraints par un indice. Il est aussi possible de considérer la dette émergente. »
Entre investment grade et high yield, les cœurs balancent. « La compression des spreads et le risque de ralentissement économique me conduisent à privilégier l’investment grade dont les fondamentaux sont plus solides », tranche Maya El Khoury. Les deux segments ne réagissent en effet pas de la même façon aux mouvements de taux d’intérêt. « Le rendement total d’un actif investment grade comporte deux tiers de taux - ce qui n’était pas le cas il y a trois ans - alors que le rendement total du high yield intègre quatre cinquièmes de spread. Donc, selon le scénario qui va se dessiner, l’un ou l’autre des segments va mieux se comporter, explique Eléonore Bunel. Dans un scénario d’atterrissage en douceur, les deux segments de marché seront porteurs mais le haut rendement euro sera plus intéressant grâce à son portage. En revanche, si les taux baissent fortement, et plus qu’anticipé par le marché, il vaudra mieux rester sur de l’investment grade. A court terme, nous restons prudents en attendant de voir quel scénario se dessine. » Chez Ofi Invest AM, on trouve un juste milieu en privilégiant le spéculatif à haut rendement bien noté. « Nous préférons être défensifs en matière de notation en privilégiant la notation BB », précise Geoffroy Lenoir.
Quoi qu’il en soit, un retournement de marché sur le haut rendement paraît exclu. « Tous les investisseurs le trouvent cher et pourtant, les spreads ne font que se resserrer, constate Maya El Khoury. De nombreux fonds à échéance ont été lancés en début d’année avec un portefeuille composé en moyenne de 70 % de titres investment grade et de 30 % de high yield, ce qui a beaucoup soutenu cette classe d’actifs. Plus globalement, il y a eu de la collecte et peu d’émissions, donc les soutiens techniques demeurent très forts. » L’évolution du gisement est aussi à prendre en compte. « La sensibilité crédit du high yield s’est réduite, donc si vous rapportez la prime de risque à la maturité, cela reste attractif », souligne Eléonore Bunel. Les flux conséquents enregistrés par les fonds de crédit, sur les deux segments, sont un facteur de soutien à l’obligataire. « Sur le crédit, nous sommes sur des flux record, remarque Maya El Khoury. Malgré plusieurs événements de volatilité depuis le début de l’année, la collecte se maintient autour de 1 milliard d’euros environ, presque chaque semaine. C’est un facteur de confort considérable. »

Les subordonnées financières, un bon couple rendement-risque
Une option attractive consiste à se positionner sur des titres subordonnés de financières. « Comme l’investment grade est moins exposé au ralentissement économique, autant investir dans des titres subordonnés d’émetteurs solides comme les financières, même si ces dernières ont vu leurs spreads se compresser », relate Maya El Khoury. Un pari gagnant l’an dernier et qui reste attractif. « Le secteur bancaire européen est très bien orienté avec des résultats 2023 et 2024 exceptionnels, pointe Eléonore Bunel. Nous nous attendons à ce que la rentabilité de ces acteurs demeure élevée, car même si la baisse des taux n’est pas positive pour le secteur, l’augmentation des volumes de prêts devrait avoir un effet compensatoire en participant à ce contexte porteur. »
Les financières mises à part, ce sont les secteurs défensifs qui sont prisés actuellement. « Nous restons constructifs sur la pharmacie et les télécoms, indique Eléonore Bunel. Par ailleurs, nous nous repositionnons graduellement sur l’immobilier, qui bénéficie désormais de la perspective d’une baisse des taux, très positive pour le secteur. » En revanche, un secteur suscite des inquiétudes : l’automobile. « Beaucoup de mauvaises nouvelles ont été annoncées : la plupart des compagnies ont publié un avertissement sur leurs résultats, rapporte Maya El Khoury. Le secteur fait face à des problématiques structurelles avec le déclin des ventes en Europe, la difficulté pour les voitures électriques à trouver leur marché ou encore la concurrence chinoise sur ce segment. » Certaines sociétés ont également été affectées pour des raisons qui leur sont propres. « Par exemple, Stellantis connaît un problème de déstockage aux Etats-Unis, et BMW a averti sur son résultat en révisant à la baisse ses perspectives 2024 en raison d’un système de freinage défectueux affectant 1,5 million de véhicules et d’une faible demande en Chine », cite en exemple Eléonore Bunel. Le marché ne tient compte qu’en partie de ces difficultés. « Une correction a eu lieu sur ces émetteurs, notamment chez les équipementiers, mais nous ne sommes peut-être qu’au début du chemin, poursuit Maya El Khoury. Il est peut-être encore un peu tôt pour se repositionner. Il faudra de toute façon le faire en étudiant la situation signature par signature et nous privilégierons les maturités courtes. » Quant à la construction, dont le démarrage était attendu pour l’année prochaine, il devrait se faire encore attendre.

Le court terme privilégié
Avec la baisse des taux courts, la courbe de taux tend à retrouver une forme plus traditionnelle. En effet, depuis juin 2023, le coût des emprunts d’Etat à 10 ans en zone euro était devenu inférieur à celui des financements à 2 ans. Autrement dit, il était plus rémunérateur de prêter à court qu’à long terme. Actuellement, cette courbe tend à s’aplatir, même si cette évolution n’est pas encore aboutie. « La courbe des taux va se normaliser et se repentifier progressivement, au fur et à mesure que l’on avancera dans le cycle d’assouplissement monétaire, anticipe Eléonore Bunel. Sur les dix à quinze dernières années, l’écart moyen entre le taux 2 ans et le 10 ans s’élève à 100 points de base et il peut même grimper au-delà en cas de récession, car les taux courts baisseraient alors fortement. » La plupart des gérants privilégient encore la partie courte de la courbe, estimant en outre que les maturités plus longues supportent un risque mal apprécié. « Nous sommes plus à l’aise avec la partie courte de la courbe, de 0 à 5 ans, ajoute Eléonore Bunel. Dans le cas d’une récession, la pentification s’accélérerait avec une baisse plus forte sur les taux courts que sur la partie longue de la courbe, ce qui nous permettrait des gains en capital. Dans un cas de soft landing et de déficit toujours aussi important aux Etats-Unis, la partie longue pourrait également souffrir. » En outre, le portage n’est guère incitatif sur les maturité très longues. « Sur le crédit, nous privilégions la partie 3-5 ans ou 5-7 ans, commente Maya El Khoury. En termes de rendement, il n’y a pas grand intérêt à aller chercher des parties très longues de la courbe, autour de dix ans ou au-delà. Attention toutefois, nous ne pouvons pas espérer adopter un timing parfait pour aller sur la partie longue lorsqu’elle redeviendra intéressante. Ces mouvements ont tendance à être très rapides. Pour cette raison, nous ne sommes pas complètement absents de la partie longue, afin d’être bien positionnés lorsque ce thème se produira. » Une position tactique qui pourrait prendre de l’ampleur dans les prochains mois. « Nous sommes principalement positionnés sur des maturités inférieures à cinq ans car nous partageons cette vision de pentification de la courbe des taux. Mais, nous sommes aussi conscients que ce chemin ne se fera pas en ligne droite, confie Geoffroy Lenoir. Dans une approche opportuniste, nous avons remis un peu de sensibilité dans nos portefeuilles mi-octobre. Notre objectif consiste à construire des positions longues si les taux d’intérêt décalent à la hausse sur la zone des dix ans. Cela reste encore marginal mais c’est un biais que nous pourrions renforcer. Toujours sur un plan tactique, les taux réels peuvent être une alternative aux taux nominaux aux Etats-Unis et servir de protection contre une remontée des anticipations d’inflation, avance-t-il. Cette remontée pourrait se poursuivre si la croissance reste forte ou encore dans le cas où Donald Trump appliquerait l’ensemble de son programme. »