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Entre tendances de long terme et facteurs de court terme

DWS, Russel Investments
Si le marché des infrastructures profite de tendances structurelles porteuses, il subit actuellement - comme l’ensemble de l’univers non coté - des freins conjoncturels liés à l’univers de taux d’intérêt élevés. L’année 2025 devrait voir une amélioration de cet environnement macroéconomique.
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Investir dans les infrastructures revient à financer des équipements essentiels à l’activité économique et sociale dans des secteurs variés tels que les services aux collectivités (réseaux de chauffage, gaz, électricité, traitement des eaux et déchets), les énergies renouvelables (parcs éoliens ou solaires, biomasse), les transports (autoroutes, aéroports, ports, lignes ferroviaires), les télécommunications (réseaux internet haut débit, tours télécoms, data centers) ou encore le social (hôpitaux, écoles, universités).

En plein essor, cette classe d’actifs, traditionnellement réservée aux investisseurs institutionnels, s’ouvre désormais à un plus large éventail d’investisseurs. Mais elle subit depuis deux ans un contexte compliqué, caractérisé par un un niveau de taux d’intérêt peu porteur. « La période 2022-2024 a été marquée par une environnement macroéconomique combinant taux d’intérêt élevés et inflation, relate Harold d’Hauteville, head of infrastructure equity Europe chez DWS. Dès 2022, cela a affecté l’activité de crédit et, de ce fait, celle du private equity par un manque de financement pour les opérations de LBO (leveraged buy-out). Du côté des infrastructures, il a fallu attendre 2023 pour observer une forte baisse des levées de capitaux, après un pic de collecte en 2022. »

L’an passé, la collecte est restée conforme au niveau de 2023, inférieur à la moyenne historique, sans montrer de signaux de rebond. « Il y a eu assez peu de retour de capital de la part des différentes stratégies sur les marchés privés, donc la liquidité est moindre côté investisseurs », explique Harold d’Hauteville. Malgré l’enclenchement d’un mouvement de baisse des taux d’intérêt des deux côtés de l’Atlantique, le marché n’en a pas encore profité. « La raison est simple : il s’agit d’un processus long et cela prend du temps pour qu’il se déroule au sein de la chaîne d’intervention des acteurs du marché », commente Riccardo Stucchi, co-head private markets, EMEA et président de Russell Investments France.

Les valorisations ont tenu pendant cette période, au prix d’un ralentissement marqué du nombre de transactions. « Ce n’est pas lié à l’absence de crédit car le financement est resté disponible sur toute la période en infrastructures même si les niveaux de taux d’intérêt étaient plus élevés, relève Harold d’Hauteville. En revanche, nous avons observé un écart se créer entre les attentes des vendeurs et les prix des acquéreurs. En effet, une inflation plus élevée est positive en termes de valorisation pour les actifs infra mais les taux d’intérêt ont un impact négatif qui vient compenser. Dans ce contexte, un grand nombre de transactions n’a pas abouti ou a été remis à plus tard. »

En conséquence, les durées de détention des actifs se sont allongées. « Les acteurs ne sont pas prêts à brader les actifs qu’ils détiennent en portefeuille, ce qui génère moins d’opportunités d’avoir de nouveaux fonds à déployer, analyse Riccardo Stucchi. En outre, les sociétés sont moins encouragées à entrer en Bourse, d’où l’émergence des fonds de continuation pour conserver ces actifs de qualité. » Pour autant, le risque d’un décrochage des valorisations semble écarté. « Les enquêtes de Preqin ont montré que c’était le sujet de préoccupation principal des investisseurs en 2023 mais ce n’est plus cas désormais, indique Harold d’Hauteville. Encore aujourd’hui les vendeurs veulent obtenir un premium par rapport à la valorisation de leurs actifs en portefeuille pour les céder, ce qui explique que le marché est un peu ralenti. Néanmoins, lorsqu’un actif est correctement positionné en termes de prix, la vente va au bout.

Ainsi, nous avons cédé quatre actifs sur 2022 et 2023 au sein de notre deuxième fonds. Plus généralement, nous avons constaté une activité dynamique en 2024 dans les infrastructures digitales et la transition énergétique, avec un retour des transactions sur les développeurs renouvelables. Dans ces secteurs, ainsi que sur les data centers, les valorisations restent solides. Ce sont des domaines qui bénéficient d’une forte croissance et d’une visibilité, indépendamment des cycles économiques. »

Dans ce contexte, cash is king ! Ou plutôt, « DPI (distributed to paid-in) is king », précise Riccardo Stucchi. Ce ratio, qui mesure les montants redistribués aux investisseurs, permet d’évaluer la proportion du capital initial investi qui a été restituée aux investisseurs. « La distribution est essentielle et, de ce point de vue, les infrastructures et la dette privée sont perçues comme plus attrayantes que le private equity car elles assurent des rendements réguliers sous forme de coupons pouvant être planifiés, ce qui suscite un grand intérêt chez les investisseurs, poursuit-il.

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Il y a une dizaine d’années, cela concernait essentiellement les assureurs, mais aujourd’hui nous voyons une plus grande diversité d’investisseurs, tels que les family offices, les banques privées ou encore les caisses de retraite, qui cherchent des alternatives aux obligations cotées. » Les gérants sont bien conscients que la liquidité est un sujet de préoccupation majeur actuellement. « Le rendement est indispensable, mais s’il n’y a pas de réalisations, ce n’est pas suffisant, pointe toutefois Harold d’Hauteville. C’est pourquoi nous restons concentrés sur les programmes de réalisation des actifs au sein de nos fonds afin de rendre le capital aux investisseurs. » Ce besoin de liquidité a eu un impact sur les allocations. « Nous avons observé un certain intérêt pour le Core+, qui affiche un profil de rendement plus intéressant que le value-add (stratégie qui vise à revaloriser un actif, ndlr), puisque ce dernier se rapproche du private equity en termes de flux de trésorerie. Car tout se joue sur l’appréciation du capital », note Harold d’Hauteville.

Le marché secondaire, en plein essor, devrait rester animé cette année. « Nous constatons une réelle accélération de l’activité pour les stratégies de secondaire, fait savoir Harold d’Hauteville. Elles offrent de la liquidité à certains gérants et permettent à des investisseurs de déployer des capitaux à des points d’entrée intéressants. » Les décotes restent toutefois minimes pour les actifs de bonne qualité. « Les valorisations n’ont pas baissé dramatiquement, assure Riccardo Stucchi. Pour nous, le secondaire ne représente pas une possibilité d’acheter à prix réduits, mais plutôt une opportunité pour repositionner les portefeuilles, afin de donner une continuité à certains projets. »

Autre sujet d’actualité : le mouvement en faveur de structures evergreen, enclenché par l’expansion du marché des particuliers mais pas uniquement. « Ce format s’adapte particulièrement bien aux infrastructures et à la dette privée, qui disposent d’une forte prédictibilité des entrées et sorties de trésorerie », indique Riccardo Stucchi. Il n’est toutefois pas adapté à toutes les stratégies, en particulier celles visant une forte appréciation des actifs à terme, juge Harold d’Hauteville. « Dans le cas d’une approche Core+, vous faites l’acquisition d’un actif auprès d’un industriel et vous le faites croître, vous transformez son profil de risque pour, finalement, revendre un actif Core qui sera plus facilement détenu par un acteur de long terme de type fonds ouvert ou investisseur en direct, élabore-t-il. Dans ce cas, à la fin de la période de détention, le coût du capital initial attendu n’est plus adapté pour investir dans ces actifs dérisqués. »

Pour profiter des opportunités à venir, plusieurs types de gérants se démarquent. « Nous assistons à une polarisation des acteurs dans les actifs privés avec, d’un côté, des entités de très grande taille, dotées de fonds de plusieurs milliards d’euros et, à l’extrême opposé, des spécialistes plus petits, très agiles, qui peuvent déployer les capitaux rapidement, analyse Riccardo Stucchi. Alors que les premiers vont sur des méga-deals, les seconds peuvent réaliser des opérations plus spécifiques, sur de plus petits montants. » Ces acteurs de taille moyenne sont plus à mêmes d’intégrer des besoins locaux. « Depuis le Covid, les opérations en infrastructures tendent à se régionaliser, avec une politique de défense des intérêts locaux, avec des initiatives pour protéger les petites et moyennes capitalisations françaises, italiennes allemandes ou américaines afin de soutenir l’économie locale », poursuit-il. Une évolution à mettre en parallèle avec le contexte géopolitique. « Les considérations politiques prennent une importance de plus en plus grande, souligne Harold d’Hauteville. Par exemple, certaines données ne peuvent plus franchir les frontières. Donc avoir des centres de données qui sont exclusivement détenus par des acteurs américains ou chinois devient un problème. Au contraire, posséder des actifs européens devient stratégique. Plus généralement, beaucoup de secteurs des infrastructures font l’objet d’autorisations gouvernementales quand un investisseur non européen veut en faire l’acquisition. C’est le cas dans les secteurs de la santé, des télécoms, des aéroports… » A ces acteurs s’ajoutent par ailleurs des allocataires, chargés de sélectionner les gérants adaptés et de construire des portefeuilles. « Pour certaines catégories d’investisseurs, ceux qui démarrent dans cette classe d’actifs ou qui n’ont pas les compétences internes ni les outils pour sélectionner des deals, un travail d’allocation, de sélection et de diversification, à l’instar de celui qui est proposé par Russell Investments, prend tout son sens », estime Riccardo Stucchi.