Le fonds Uzès Grands Crus I, distribué par Uzès Gestion, demeure un fonds professionnel spécialisé d’une grande rareté en France, étant à ce jour toujours le seul fonds d’investissement alternatif dédié aux vins d’exception agréé - depuis 2012 - par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Dix ans plus tard, le véhicule, lancé dans sa forme actuelle en 2016, se retrouve face à un dilemme d’allocation en grands crus. La raison est liée, entre autres, à une règle de liquidité imposée en 2012 par le régulateur et restée la même depuis lors. A l’époque, près de 70% des échanges quotidiens en grands crus étaient concentrés sur la région de Bordeaux quand les autres régions représentaient les 30% restants. «La liquidité du marché des vins d’il y a dix ans ne faisait pas débat, c’était Bordeaux en tête», expose Hugues Lapauw, analyste œnologue et co-gérant du fonds avec Jean-Marie Godet, président du directoire d’Uzès Gestion, à NewsManagers. Pour assurer la liquidité du fonds, l’AMF avait donc imposé un minimum de 60% de Bordeaux en détention. «Or, le marché du vin a subi une réelle rupture dans les années qui ont suivi. Les Bordeaux ont subi un désintérêt progressif de la profession et des acheteurs internationaux à la suite de la loi anti-corruption en Chine en 2011 », poursuit le gérant. Le rôle de la Chine a son importance. Jusqu’en 2008, explique Hugues Lapauw, les Chinois n’étaient pas présents sur le marché des grands vins. Mais cette année-là, le gouvernement en place à Hong Kong annule les taxes douanières sur les vins, provoquant une vraie rupture. «Hong Kong a été la porte d’entrée vers un marché de 1,3 milliard de consommateurs potentiels qui n’avaient presqu’aucune connaissance sur le vin. Les Chinois se sont par conséquent intéressés au vin en se concentrant d’abord uniquement sur les étiquettes bordelaises comme Château Lafite Rothschild. En conséquence, les prix sur les Bordeaux ont flambé. Le chiffre 8 étant associé à la prospérité dans la culture chinoise, tous les intermédiaires qui exportaient en Chine ont acheté massivement les grands Bordeaux du millésime 2008», souligne l’analyste-œnologue. Retournement de marché L’influence de l’arrivée de la clientèle chinoise ne tarde pas à se faire sentir. La bouteille de Lafite Rothschild 2008, qui se négociait lors des ventes en primeurs à Bordeaux à 140 euros hors taxes au printemps 2009, voit son prix exploser rapidement. En moins de deux ans, le millésime atteint pas loin de 1.500 euros. En Chine, l’augmentation de la consommation de vin n’est pas palpable. Mais les stocks de grands crus bordelais circulent sous forme de cadeaux. Le phénomène est stoppé net par la loi anti-corruption de 2011 qui fait se retirer la clientèle chinoise du marché des vins de Bordeaux et décroître fortement le prix du Lafite Rothschild entre 2011 et 2014. «Avec la loi anti-corruption, le château de cartes s’est effondré donnant lieu par la suite à un phénomène de Bordeaux bashing. Les propriétés bordelaises n’ont pas profité de l’occasion pour revenir à des prix de vente en primeurs plus raisonnables. Progressivement, le marché s’est détourné des Bordeaux au profit notamment des vins de Bourgogne », indique Hugues Lapauw. En résumé, avec l’arrivée de la clientèle chinoise en 2008, les échanges quotidiens sur le marché des grands crus se sont concentrés en moins de deux ans à plus de 90% sur les Bordeaux et 10% sur les autres régions, champagne inclus. Puis, le marché s’est complètement retourné. «Aujourd’hui, nous nous retrouvons dans une situation sans précédent. Nous sommes à peine à 40% d’échanges quotidiens sur les Bordeaux et 25-30% de Bourgogne. Au moins un tiers des échanges de Bordeaux ont été récupérés par les Bourgogne, qui produisent en volume dix fois moins que les Bordelais. De fait, la règle de liquidité imposée par l’AMF il y a dix ans est devenue obsolète. Nous aimerions donc faire amender cette règle auprès de l’AMF en diminuant la part de Bordeaux », dit le co-gérant du fonds Uzès Grands Crus I. Quant à la vente en primeurs de Bordeaux, selon Hugues Lapauw, elle ne bénéficie plus à l’acheteur qui, avant, pouvait payer un prix inférieur au prix de sortie 18 mois plus tard. «Le dernier millésime qui était intéressant à acheter en primeur était 2008 (après la crise des sub-primes), tous ceux qui sont sortis après étaient plus chers qu’attendus, donc le potentiel de plus-value sur les achats de Bordeaux en primeurs est devenu une exception comme en 2019 (confinements Covid). »