Le cabinet Deloitte, en partenariat avec le consultant Casey Quirk, a dévoilé, mardi 26 mars, son rapport annuel sur les tendances du secteur dela gestion d’actifs. Trois grandes orientations ont été mises en exergue àl’occasion d’une présentation à la presse de l'étude menée auprès de 123 sociétés de gestion. Tendance numéro 1, la clientèle retail est le marché de demain pour les gestionnaires. L’impact de laloi Pacte sur l'épargne retraite va redistribuer les cartes, forçant les Français à s’intéresser de plus près à leur épargneet ouvrantà une plus grande concurrence un marché que se partagentactuellement un nombre réduit d’acteurs, estiment les auteurs de l'étude, qui s’attendent à une accélération du marché sur les produits retraite. Actuellement, l’assurance-vie pèse plus de1.700milliards d’euros (dont350Md€ en unités de compte), les produits de capitalisation représentent un encours de 240 milliards d’euros quand l'épargne réglementée s'élève à 400 milliards d’euros selonla Fédération française de l’assurance. Les perspectives laissent penser à une croissance soutenue du marché retail (120 à 180Md€ supplémentaires attendus en UC sur trois ans et 60 à 100Md€ supplémentaires attendus sur les produits de capitalisation). Julien Galabert, senior manager chez Deloitte, a néanmoins expliqué que les défis à relever étaient nombreux pour attirer les Français vers les produits retraite. Selon une étude Deloitte - WeSave menée l’an dernier, 85% des Français jugent les marchés complexes à analyser et 45% des épargnants favorisent un rendement faible pour éliminer le risque de perte tout en se disant ouverts à une plus grande tolérance du risque s’ils connaissaient mieux les marchés. En clair, il va falloir faire preuve de pédagogie financière afin d’amener le client retail à prendre du risque et il vasurtout falloirrevoir les gammes de produits qui lui sont proposées ainsi que la manière de les lui vendre. «Ce n’est pas parce que le gestionnaire d’actifsn’est pas en contact direct avec le client final qu’il ne faut pas recréer avec celui-ci une relationpour mieux répondre à ses attentes et ses besoins. Le distributeur nechoisit pas ce qui apporte de la valeur au client final. On le voit dans la grande distribution. Les marques se sont mises au «mieux consommer» sous la pression des consommateurs. Cela arrivera demain dans la gestion d’actifs, les épargnantsauront un certain nombre d’attentes et les gagnants seront ceux qui auront su les écouter,» explique Julien Galabert. Selon le senior manager de Deloitte, le problème majeur côté gestionnaires d’actifs reste que les produits retail ne sont trop souvent que desproduits destinés aux institutionnels reconditionnés pour la clientèle de masse. Or, des gammes spécifiquement adaptées aux retail et à leurs aspirationsdoivent être créées. Ceci doit notamment inclure la comparaison des performances des fonds, non pas avec des indices de marché, mais avec des indices plus ancrés dans la vie réelle (pouvoir d’achat, inflation, impact environnemental) et la conception de produits «aspirationnels» pour former une proposition ciblée au client retail. «Les gestionnaires ne doivent plus faire du «push» produit bancaire», résume Pascal Koenig, responsable asset management chez Deloitte, qui conseille aux gestionnaires de passer davantage de temps sur leurs stratégies marketing vis-à-vis de la clientèle retail. Mise au vert Aussi les particuliers, comme les institutionnels,veulent-ils donner du sens à leurs investissements, ce qui amène une deuxième tendance : l’investissement socialement responsable dont la croissance progresse bien plus vite que le secteur des fonds dans son ensemble. La France tire son épingle du jeu dans ce domaine mais le marché ISR demeure à 80% tourné versune clientèle institutionnelle, soulignent Deloitte et Casey Quirk. Les encours sur les fonds ISR en France mi-2018 atteignaient 145 milliards d’euros répartis dans 439 fonds selon Novethic mi-2018. L'étude note que 84% des sociétés de gestion interrogées se déclarent compétitives ou adaptées quant à l’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans les processus d’investissement des fonds, cette proportion tombe à 62% sur le sujet de l’intégration de l’ESG dans les processus de vente des fonds. 61% des firmes sondées pensent être compétitives ou adaptées pour faire de l’ESG uncritère de distinction de leur marque quand 38% répondent être à la traîne sur le sujet. En revanche, 54% des gestionnaires d’actifs sondésse disent en retard sur le sujet de la reconnaissance de la marque comme acteur responsable quand 38% s’estiment adaptés ou compétitifs et 8% leaders sur la question. Deloitte en tire la conclusion que de nombreux gérants peinent à articuler unmessage ESG qui se distingue des autres et à l’attacher à leur marque. Autre enseignement de l'étude: 31% des sociétés de gestioninterrogéesenvisagent de créer d’ici deux ans des produits sur la thématique ESG/investissement responsable - en deuxième position derrière la création de produits crédit (39%) et à égalité avec la dette privée. Pour les pionniers de l’ISR/ESG, le risque existe d’une dilution du message et d’une perte d’identité selon Pascal Koenig, qui précisetoutefois qu’il ne s’agit que de déclarations d’intentions et note l’essor de la gestion thématique ISR (fonds sur l’eau, le climat, la transition énergétique, etc).L’industrie européenne des fonds qui compte environ 60 000 produits risque de voir un certain nombre de stratégiesdisparaître devant la montée des fonds thématiques et la pression des ETF, analyse Pascal Koenig, selon qui les fonds actions large cap euro et les fonds investis en obligations gouvernementales figureront parmi les premières victimes. Big data: les SGP à la traîne La troisième et dernière tendance constatée par Deloitte et Casey Quirk concerne les investissements dans les nouvelles technologies etcompétences des sociétés de gestion dont la propension devrait augmenter significativement au cours des trois à cinq années à venir. Les sociétés de gestion sont en retard par rapport au reste des acteurs de la finance dans le domaine technologique, notamment sur le plan du big data. 50% des sociétés de gestion sondées par Casey Quirk n’utilisent pas le big data dansleur force de vente, 33% l’utilisent de façon mineure et seulement 17% témoignent d’un usage important. Elémentsurprenant de l'étude,un tiers des gestionnaires d’actifs sondés se repose sur les compétences de sales junior pour les responsabilités liées au big data. La recherche de Deloitte et Casey Quirk suggère des bénéfices pour les sociétés de gestion utilisant le big data, qui ont moins de réunions par an en moyenne que les autres(115contre 137pour celles qui n’utilisent pas le big data) et un taux de prospects qualifiés plus élevé par réunion (18,1% contre 11% pour celles qui n’utilisent pas le big data). L'étude trouve aussi un lien de corrélation avec la croissance annuelle organique observée des sociétés entre septembre 2015 et septembre 2018, les entreprises usant du big data ayant connu une croissance annuelle organique de 3% en moyenne lorsque celles ne l’utilisant pas ont fait face à une décroissanceannuelle organique de 2% en moyenne sur la même période. Deloitte estime que l’utilisation de l’intelligence artificielle par les sociétés de gestion est aujourd’hui incontournable pour rechercher de nouveaux relais de croissance, identifier des sources d’alpha via l’exploitation de la donnée non structurée -selon Pascal Koenig, l’avenir est au couplegérant de fonds-data scientist -améliorer leur distribution des produits et leur efficacité opérationnelle. Le consultant constate aussi une hausse des partenariats stratégiques entre sociétés de gestion et acteurs innovants présents sur les nouvelles technologies pour la création et distribution de nouveaux produits/services ou l’efficacité opérationnelle(Axa IM avec Dreams, Candriam avec IBM Watson, Iznes qui distribue les parts d’OPC d’une vingtaine de sociétés de gestion via un processus basé sur la blockchain). L'émergencede modèles intégrant l’ensemble de la chaîne de valeur, comme c’est le cas avec OFI AM qui peut s’appuyer sur Iznes, Crystal Finance, Expert & Finance ainsi que Finaveo, est une tendance qui va se développer. En filigrane de ces trois grandes tendances apparaît leprincipal sujet pour la gestion d’actifs, à savoir l’optimisation des coûts et l’amélioration des infrastructures et des effectifsau niveau opérationnel. En résumé, les sociétés de gestion, qui s’estiment étouffées par les coûts de contrainte (adaptation, réglementation, etc), doivent être aidées par les nouvelles technologies. L'étude de Deloitte-Casey Quirk montre que les sociétés de gestion en croissance rentable rationalisent leurs fonctions supports, faisant appel à moins de ressources mais plus d’externalisation. Exemple concret, les regtechs qui améliorent les processus de mise en conformité des SGP et diminuent les coûts liées à la surréglementation. La menace pour Pascal Koenig s’appelle aujourd’huiApple et sa carte de crédit utilisable sur uniPhone qu’il a conçue avec Goldman Sachs et Mastercard. La marque à la pomme pourrait-elle entrer dans le secteur de la gestion d’actifs? «Quand on rentre dans le secteur bancaire, c’est assez facile de dériver», arépondu Pascal Koenig.